Introduction
Dans la nouvelle culture de masse, un œil quelque peu exercé discerne avec autant d’aisance que de stupeur la présence de motifs qui, jusque dans les années 1970, étaient l’apanage d’une extrême droite nourrie du grand mythe politique fabriqué par les penseurs contre-révolutionnaires à la fin du XVIIIe siècle, celui du complot international dirigé contre la civilisation chrétienne. Un complot maçonnique puis judéo-maçonnique, dont la légende des « Illuminés de Bavière » (ordre historiquement fondé par Adam Weishaupt le 1er mai 1776), élargie en celle des « Illuminati », n’a cessé d’être l’une des principales composantes. Le « complot des Illuminati », entreprise subversive visant à instaurer un « Gouvernement mondial unique1 », est régulièrement dénoncé depuis l’époque de la Révolution française2. Il s’agit bien sûr d’un complot fictif, dont les initiateurs, les dirigeants et les agents, présentés comme les membres d’une puissante « société secrète » sont des créations de l’imagination, et plus précisément de cette faculté de fabulation qui tend à dériver vers le délire d’interprétation et la vision paranoïaque du monde. Les « Illuminés de Bavière », accusés par de nombreux polémistes d’être les principaux responsables de la Révolution française, incarnent dès le surgissement de leur légende la figure menaçante de la subversion, du chaos révolutionnaire et de la dictature criminelle. La réalité historique de l’« Ordre des Illuminés » (1776-1785) a été réinventée, soumise à une mythologisation orientée par une volonté de diaboliser. Le fondateur de l’ordre a été présenté comme un rejeton de Satan, image fixée par l’abbé Barruel dans le portrait qu’il brosse de Weishaupt :
« Il est des hommes si malheureusement nés, qu’on serait tenté de les prendre pour une émanation de cette intelligence funeste, à qui un Dieu vengeur n’a laissé de génie que pour le mal. […] Dans l’antre des complots, ils excellent à méditer les attentats, à préparer les révolutions, à combiner la ruine des autels et des empires. […] C’est avec tous ces traits […] que, vers l’année 1748, naquit en Bavière un impie appelé Jean Weishaupt, plus connu dans les annales de sa secte sous le nom de Spartacus. […] Ennemi du grand jour, mais semblable au hibou sinistre que le soleil hébète, et qui plane dans l’ombre de la nuit, ce désastreux sophiste ne sera connu dans l’histoire que comme le démon, par le mal qu’il a fait, et par celui qu’il projetait de faire3. »

L’écart entre la réalité historique des « Illuminés de Bavière » et la construction fictionnelle des « Illuminati » est frappant : voilà une organisation para-maçonnique dont la vie brève (une décennie), les effectifs fort modestes et l’influence limitée ont été remplacés par la vision d’une « société secrète » qui incarnerait une formidable puissance de manipulation et dont les dirigeants successifs, supposés « initiés », formeraient comme une lignée satanique ou une dynastie luciférienne. Qu’une « légende de l’Illuminisme » ou une « légende Illuminée » se soit formée et déformée, transmise et transformée depuis les dernières années du XVIIIe siècle, c’est un fait, établi et étudié par de nombreux historiens. Elle n’a jamais cessé d’être reformulée, réadaptée à l’esprit du temps, réinterprétée par de multiples auteurs qui, au XIXe siècle et au XXe, ont cru que le moteur de l’Histoire n’était autre que le résultat de l’action des « sociétés secrètes » ou le produit d’une série de complots, ou que le secret de la politique mondiale tenait au fait qu’elle était dirigée par des « chefs inconnus », incarnations du mal.
À vrai dire, la mythologisation diabolisante s’est opérée presque simultanément vis-à-vis de la franc-maçonnerie tout entière. Elle présupposait une distinction de haute importance rhétorique introduite par l’abbé Barruel en 1797-1798 dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme : la distinction entre les loges (visibles) et les arrière-loges (invisibles)4. La figure de la franc-maçonnerie se dédoublait : ce qui ne pouvait être dit de la maçonnerie visible (ou à demi visible) pouvait l’être de la maçonnerie invisible ou occulte, sans crainte d’un « retour de bâton ». Et tout pouvait se dire de la tête plus que secrète de la « société secrète ». La voie était libre pour les accusations les plus délirantes visant la « direction suprême ». La distinction entre le visible et l’invisible, en résonance avec l’opposition entre le superficiel et le profond, ainsi qu’entre le bas et le haut, allait structurer définitivement l’argumentation antimaçonnique qui, elle-même, devait jouer le rôle d’un paradigme dans la plupart des discours « anti- » ayant pour cibles des organisations supposées conspiratrices ou des « sociétés secrètes5 ». Dans son pamphlet antimaçonnique publié en 1867, Les Francs-Maçons. Ce qu’ils sont. Ce qu’ils font. Ce qu’ils veulent, qui fit l’objet de nombreuses rééditions, Mgr de Ségur consacre un chapitre à caractériser la « vraie maçonnerie qui est occulte et toute secrète », donnant une illustration saisissante du mythe conspirationniste :
« Cette Franc-Maçonnerie n’est plus celle des Loges, elle n’est plus même celle des hauts grades : elle est purement et simplement la société secrète. Dans l’arrière-Loge, les Maçons jettent le masque […]. À la tête de toute cette armée ténébreuse, il y a un chef unique et inconnu, qui reste dans l’ombre et qui tient tous les Ateliers et toutes les Loges dans sa main […]. Cet homme diabolique est plus puissant qu’aucun roi de ce monde. Au dernier siècle, ce fut pendant de longues années, un Allemand obscur, nommé Weishaupt6. »

On retrouve donc les « Illuminati » et leur chef à la tête de la franc-maçonnerie telle qu’elle est mythologisée par les polémistes antimaçons d’obédience catholique, depuis la fin du XVIIIe siècle. Mais l’identité mythique des « Illuminati » a elle-même beaucoup varié, s’adaptant aux normes des divers contextes et aux codes rhétoriques des diverses traditions conspirationnistes. Alors qu’à la fin du XVIIIe siècle la thèse des origines templières des « Illuminati » paraissait une évidence, au cours du dernier tiers du XIXe siècle tend à s’imposer la thèse d’une « direction juive » de la franc-maçonnerie et, plus largement, de toutes les « sociétés secrètes » en lutte pour détruire la « civilisation chrétienne ». Dans un pamphlet datant de 1935, intitulé Ce que l’on vous cache, à la suite d’une description de la « hiérarchie maçonnique », on apprend une nouvelle fois la principale leçon : « Au-dessus de cette Franc-Maçonnerie connue, on pourrait dire officielle, il y a une franc-maçonnerie supérieure, accessible aux seuls Juifs7. » Cette thèse sur laquelle repose l’anti-judéomaçonnisme a été réinterprétée après 1945, de façon euphémisée, pour renaître sous la forme d’une dénonciation du « Gouvernement mondial » voulu par les « banquiers internationaux » et les « associations mondialistes » complices de la « subversion communiste ». Mais le nouveau discours « antimon- dialiste » (d’extrême droite) de la fin du XXe siècle, diabolisant le « Nouvel Ordre mondial » comme toutes les formes d’internationalisme, a fusionné chez certains auteurs avec le mythe des extraterrestres de « race reptilienne » dont la plupart des dirigeants de la planète seraient des descendants (en tant qu’hybrides) ou des alliés. Les « Illuminati » y ont gagné une nouvelle généalogie, plus extravagante que toutes les précédentes8.

Ce qu’il est convenu d’appeler, d’une façon peu satisfaisante, la « théorie du complot » (« conspiracy theory », « Verschwörungstheorie »)9 désigne confusément diverses attitudes (sentiments ou perceptions), croyances (ou convictions), perspectives ou systèmes de pensée à prétention explicative. Pour avoir une chance d’échapper à la confusion, ordinaire en la matière, procédons aux distinctions conceptuelles qu’on peut juger minimales pour analyser le champ des accusations délirantes. Les visions de complots fictifs peuvent être regroupées sous quatre catégories, allant du moins élaboré au plus élaboré – de l’imaginaire complotiste permettant l’interprétation de faits divers à de grands récits de facture mythique sur l’Histoire ou l’évolution de l’humanité. La mal nommée « théorie du complot » peut donc se dire au moins en quatre sens :

1° La peur d’un complot imaginaire ou les inquiétudes réelles provoquées par des complots qui n’existent pas10, mais font l’objet de croyances. La « théorie » se réduit ici à l’expression de cette peur11. Or, donner une figure aux causes de la peur, c’est lutter contre celle-ci. Et pourtant, la peur augmente. Pour comprendre le processus paradoxal à l’œuvre, il faut inverser l’ordre causal spontanément affirmé par les sujets qui disent croire à des complots. La vérité est qu’ils ont peur et, pour échapper à la peur, inventent des complots qui traduisent, confirment et alimentent leurs peurs. Face aux soubresauts de l’Histoire, au déferlement des événements offerts en vrac par les médias, accompagnés de commentaires peu crédibles ou irrémédiablement confus, la tentation est grande de supposer qu’« on nous cache tout ». « Tout », c’est-à-dire la « vérité », « l’essentiel », les « véritables causes » ou les « vraies raisons ». « On » désigne les sujets inconnus et inquiétants auxquels les individus qui ont peur attribuent le complot. Ceux qui croient aux complots conjurent ainsi leurs peurs en même temps qu’ils les stimulent. Le « secret », puisqu’il n’est pas de complot sans secret, serait une arme dont useraient ceux qui détiennent le pouvoir de dire ou de ne pas dire. Les citoyens ordinaires des démocraties apaisées sont facilement effrayés à l’idée que des réseaux occultes pourraient, par leurs intrigues et leur influence souterraine, provoquer une régression de leur niveau de vie ou une restriction du champ de leurs libertés. La croyance vague au complot se distingue mal du sentiment diffus de vivre dans l’insécurité, sentiment devenu banal dans la « société du risque12 » : elle est partagée notamment par les citoyens plus ou moins nostalgiques qui n’acceptent pas les situations d’incertitude et s’inquiètent de l’imprévisibilité croissante des trajectoires individuelles ou du devenir collectif. L’insécurisation des existences individuelles caractérisait tout autant l’époque révolutionnaire : la Révolution française, bouleversement apparemment inexplicable, perçu comme incompréhensible par de nombreux contemporains de l’événement, a constitué pour eux non seulement un traumatisme, mais une puissante motivation pour la recherche d’une explication. À cette demande d’explication, le schème du complot fournit la structure de réponse la plus simple . Dans l’évidence de la grande machination, la fonction cognitive n’est pas exclusive d’une fonction affective aux effets ambigus : l’explication apporte apaisement et stimulation. Tel est l’imaginaire minimal du complot. Ce premier sens est présupposé par les trois suivants.

2° L’idée ou l’hypothèse du complot : on suppose, face à des événements historiques perçus comme opaques ou absurdes, qu’ils pourraient s’expliquer par un ou plusieurs complots, donc en dernière analyse par des intentions et des actions humaines13. Or l’hypothèse n’est pas ici suspendue à l’usage du doute méthodique ou limitée par le recours à l’expérimentation : elle se métamorphose en thèse14. L’idée de complot fonctionne comme modèle d’intelligibilité allant de soi et dont l’usage engendre des bénéfices psychiques. L’application du modèle du complot semble faire entrer dans l’ordre de l’explicable et du rationnel des événements qui paraissent relever du hasard. L’idée de complot, note François Furet, « opère cette perversion du schéma causal par laquelle tout fait historique est réductible à une intention et une volonté subjective15 ». L’illusion d’une maîtrise intellectuelle de ce qui arrive permet d’échapper provisoirement au malaise produit par le sentiment du chaos. C’est pourquoi la période révolutionnaire a été si riche en « complots » imaginés : au milieu des bouleversements paraissant dénués de sens, tout adversaire était accusé de comploter, ce qui donnait l’illusion de comprendre les logiques d’action des divers groupes. Le passage de l’idée directrice à l’idéologie s’est vraisemblablement opéré à l’époque de la Révolution française, qui « inaugure un monde où tout changement social est imputable à des forces connues, répertoriées, vivantes16 ». Cette attitude cognitive s’accompagne cependant d’affects négatifs où l’indignation, la colère et la révolte dominent, sur fond d’anxiété. Car l’identification de supposés « complots » scandalise et inquiète. Les sujets qui croient au complot n’acquièrent une certaine sérénité cognitive qu’au prix d’une inquiétude permanente : ils ne peuvent cesser leur activité laborieuse de rationalisation. La hantise des complots devient ainsi une disposition permanente de certains individus ou groupes.

3° L’idéologie du complot : elle se fonde sur la conviction que les processus sociaux, ceux qui sont censés engendrer la misère du monde ou les malheurs de l’humanité, s’expliquent nécessairement par des manipulations dues à des groupes occultes agissant secrètement et avec malveillance, sur la base de plans, de programmes ou de projets17. Ces groupes occultes sont imaginés comme étant aussi puissants qu’hostiles, ce qui constitue une base fantasmatique pour leur diabolisation. En démasquant ces ennemis cachés et diaboliques, le dénonciateur du complot se donne une identité positive, il se situe du côté du Bien. Une théorisation des types d’action impliquant secret des affiliations (de type initiatique), existence de groupes occultes infiltrés dans tous les postes de pouvoir, programme (secret) de domination et opérations planifiées de manipulation apparaît à ce niveau, autorisant à parler d’« idéologie complotiste », ou plus brièvement de « complotisme » ou de « conspirationnisme ». On notera que le postulat de la manipulation généralisée fonctionne lui-même comme un moyen de manipulation.

4° Le mythe du complot ou la mythologie conspirationniste, qui se constitue autour de la thèse selon laquelle les complots ont fait, font et feront l’Histoire18, c’est-à-dire constituent la clé de l’Histoire. Les complots sont le moteur de l’Histoire : tel est le dogme sur lequel repose l’édifice mythique. Et, puisque le complot est nécessairement mondial, les comploteurs sont des sujets universels, voués à agir par-delà les frontières étatiques, linguistiques ou civilisationnelles : jésuites, francs-maçons, Juifs « cosmopolites », communistes, capitalistes « apatrides », etc. Ces complots à visée planétaire sont parfois appelés « mégacomplots ». Que l’espace et le temps du complot soient ceux de l’histoire universelle, que le complot puisse être « délocalisé pour être fictionné comme mondial, c’est là une invention narrative attribuable à l’époque moderne, inséparable du surgissement des « philosophies de l’histoire » dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et de l’explosion conspirationniste déclenchée par la Révolution française – entrée dans la galerie des miroirs, où le complot ne peut être aperçu sans ses doubles : complots respectivement jésuitique, janséniste, « illuministe », franc-maçon, néo-templier, aristocratique, clérical, jacobin, etc. Ce que Manès Sperber appelait la « vision policière de l’histoire » (expression forgée par le psychologue en 195319 recouvre les sens 3 et 4 : elle se fonde sur la thèse que « les malheurs de ce monde doivent être imputés à une organisation ou entité maléfique20 » – qu’il s’agisse par exemple de l’Ordre des jésuites, de la franc-maçonnerie, des « banquiers internationaux » ou des Juifs (ceux d’en haut, invisibles : les « Sages de Sion ») –, voire à une synthèse des puissances maléfiques21. Dans les « mégacomplots » qu’on rencontre dans les mythes politiques modernes, la maxime « les extrêmes se touchent » paraît perdre son statut de formule creuse pour prendre la valeur d’une loi d’organisation de l’imaginaire.
La pensée du complot présente certaines analogies avec la pensée mythique : comme celle-ci, elle peuple le monde d’intentions bonnes et mauvaises, de démons et de dieux, elle « investit l’univers objectif de volontés subjectives22 », imaginant ainsi expliquer l’origine et la persistance du mal. Mais le contexte moderne dans lequel se sont formés les grands récits conspirationnistes, celui de la sécularisation commençante, leur a imposé certaines caractéristiques (l’idée de l’universalité du complot ou l’importance des processus d’influence dans les actions de propagande) et certains types de fonctionnement. Le mythe du complot juif mondial, par exemple, est un mythe politique moderne dont l’une des particularités est d’avoir été fabriqué avec des matériaux symboliques empruntés à l’antijudaïsme et à l’antisatanisme médiévaux23. On peut suivre Norman Cohn dans sa caractérisation de « l’antisémitisme exterminateur 24 » par l’attribution aux Juifs d’une conspiration mondiale de type satanique :
« L’antisémitisme le plus virulent [the deadliest form of antisemitism], celui qui aboutit à des massacres et à la tentative de génocide […], a pour noyau la croyance que les Juifs – tous les Juifs, et partout – sont partie intégrante d’une conspiration décidée à ruiner puis à dominer le reste de l’humanité. Et cette croyance est simplement une version modernisée et laïcisée des représentations populaires médiévales, d’après lesquelles les Juifs étaient une ligue de sorciers employée par Satan à la ruine spirituelle et physique de la Chrétienté25. »

Ce modèle interprétatif est clairement fondé sur l’hypothèse sociologique de la sécularisation des croyances religieuses, qui sera discutée dans le présent ouvrage. Il fait intervenir, dans les motivations fondamentales des judéophobes les plus fanatiques, la « peur paranoïaque d’une conspiration ou d’un complot juif mondial26 ». Le mythe conspirationniste radicalisé par une inspiration démonologique constitue une machine à fabriquer des ennemis absolus, voués à être détruits. Il joue ainsi le rôle d’une vision magique du politique non moins que d’une philosophie sommaire de l’Histoire27. Il fonctionne en outre comme une incitation efficace à la mobilisation et comme un puissant mode de légitimation ou de rationalisation de l’action, si criminelle soit-elle.
De la hantise des complots à l’idée de complot comme clé de l’histoire universelle, de la simple anxiété complotiste à la vision paranoïaque du monde, il existe à l’évidence un vaste espace à explorer, un espace qui pourrait ne s’avérer homogène ni culturellement, ni politiquement.

Revenu dans la culture populaire anglo-saxonne au cours des années 1970, notamment par le roman et les jeux vidéo, bientôt suivis par les films et les séries télévisées, le thème du « complot des Illuminés » est entré dans un nouveau cycle de vie au début des années 1990. Il s’est d’abord inscrit dans le grand récit « antimondialiste » d’extrême droite, fondé sur la diabolisation et le rejet absolu du « Nouvel Ordre mondial », censé être dirigé secrètement par les héritiers des « Illuminés » accusés de recourir aux mêmes techniques de manipulation que leurs ancêtres. Dans son livre sur et contre le « New World Order », publié en 1991, le démagogue « antimondialiste » de droite Pat Robertson affirme que « l’Illuminisme ne fut pas un phénomène éphémère, et [que] les principes de Weishaupt ainsi que ses disciples et son influence ne cessent de refaire surface aujourd’hui28 ». Tous les théoriciens de la mondialisation diabolique sont des théoriciens du complot. Ce processus d’imprégnation culturelle a engendré une nouvelle grande évidence idéologique, en faisant surgir ce qui pouvait apparaître comme un nouvel objet de croyance, mais qui relevait bien plutôt d’une réactivation ou d’un « revival » : la distinction, voire l’opposition entre le visible et l’invisible, l’apparent et le caché, les apparences et la réalité. Ce qui a pris valeur d’évidence, c’est la distinction entre le monde social visible, gouverné par des élites dirigeantes elles-mêmes visibles, et l’arrière-monde formé par les « gouvernants invisibles », soit l’univers occulte des « Illuminés », ces derniers étant imaginés comme cyniques et/ou dotés de mauvaises intentions. Derrière le « décor » démocratique, spectacle des apparences, se joue le jeu véritable, qui n’a rien à voir avec les valeurs démocratiques. Un machiavélisme sommaire tient lieu de philosophie politique : conquête du pouvoir par tous les moyens lorsqu’on ne le possède pas, conservation du pouvoir sans « états d’âme » lorsqu’on l’exerce, officiellement ou en secret, avec l’objectif de l’étendre toujours davantage. Conquérir, dominer, contrôler : tel est le programme d’apparence politique des « Illuminés29 ». Mais le pouvoir dont il est question n’est pas seulement politique, il est aussi bien militaire, technologique, financier, médiatique, et il tend au pouvoir mondial. Le grand but des « Illuminés », dans le mythe dont ils constituent la représentation centrale, est de s’emparer du pouvoir mondial. Ce qui ne saurait s’accomplir sans une vaste opération de « table rase », comme le rappelle l’un des théoriciens conspirationnistes les plus lus dans la seconde moitié du XXe siècle, William Guy Carr. Le titre de son ultime essai résume sa vision de l’Histoire : La Conspiration mondiale dont le but est de détruire tous les gouvernements et religions en place30. Tel est le grand secret des « Illuminés », que les démystificateurs conspirationnistes prétendent dévoiler : la volonté de pouvoir, sans mesure ni fin. Quelque chose comme un miroir tendu devant le désir totalitaire, cet envers des aspirations libérales/démocratiques, qui n’a cessé de hanter la politique des Modernes. Ou peut-être simplement la projection, sur des catégories d’« autres » haïssables, du désir de toute-puissance persistant en chaque individu humain.
Les « Illuminés », qui demeurent invisibles, peuvent néanmoins s’incarner dans plusieurs figures sociopolitiques : en tel ou tel groupe occulte supposé redoutable (une « secte » ou une « société secrète » : de la franc-maçonnerie au groupe Bilderberg31, dans un groupe ethnique reconstruit comme puissance diabolique (« les Juifs »), dans un gouvernement mythifié négativement (en général l’américain) ou une alliance inter-étatique secrète, ou encore dans un super-gouvernement caché, imaginé sur le mode du réseau international. Dans ce qu’on pourrait appeler le modèle standard du récit conspirationniste contemporain, les dénonciations visent plutôt un groupe secret qui, par exemple, au sein du gouvernement américain, exercerait une influence décisive sur les orientations politiques de ce dernier, ou bien comploterait pour réaliser des objectifs fort divers mais toujours inavouables, dont la finalité est l’établissement du gouvernement mondial. Un grand récit d’accusation circule planétairement depuis le début de l’épidémie de sida, faisant jouer un mode d’« explication » relevant typiquement de la « causalité diabolique32 » : tout s’éclairerait par un complot américain dont les initiateurs, inévitablement liés à la CIA33, auraient organisé la fabrication du virus du sida en laboratoire, au moyen de manipulations génétiques, pour décimer les pays pauvres et ainsi apporter une réponse efficace à la question préoccupante de la surpopulation dans le monde34.
Pour les adptes de la vision complotiste, le sens de la politique mondiale est un sens caché, auquel seul peuvent accéder les esprits éclairés par la théorie du complot. Celle-ci fonctionne dès lors comme un savoir « ésotérique » permettant de pénétrer les arcanes de l’Histoire. Ce précieux savoir ne peut être transmis que par une forme d’initiation (aussi sommaire soit-elle), aboutissant à une illumination : on croit alors comprendre tout, d’un coup. Pour connaître la réalité occulte, il faut donc commencer par décrypter les apparences. Ce qui est ainsi dévoilé, (jamais complètement), c’est le spectacle suivant : des dirigeants secrets poursuivent des fins cachées par des manœuvres non apparentes. Le secret forme le trait d’union entre ésotérisme et complotisme. On retrouve la distinction minimale que présuppose toute forme d’« ésotérisme » (aussi difficile à définir que soit ce terme) : la distinction entre le monde des profanes (ceux qui restent à l’extérieur, à la porte des « secrets ») et celui des initiés (ceux qui sont capables de voir l’« intérieur des choses » ou de voir « du dedans », d’accéder aux « secrets », complots compris). Ou encore la distinction entre le monde tel que le voient les profanes et le monde tel qu’il est vu par les initiés.
C’est pourquoi le « complot des Illuminés » a pu s’inscrire tout autant dans la vague culturelle souvent décrite comme l’illustration d’un « retour de l’ésotérisme », qu’on fait ordinairement commencer au début des années 1990 dans les pays occidentaux, et dont on souligne parfois l’hypothétique corrélation avec, d’une part, l’épuisement des « religions séculières » dont le communisme fut la figure principale, et, d’autre part, le relatif retrait du christianisme institutionnel comme pourvoyeur de sens social (effet supposé de la « sécularisation »). À suivre cette dernière hypothèse, la configuration « ésotéro-complotiste » surgirait comme un produit de remplacement, une nouvelle machine à produire du sens, une offre « alternative » de nourritures « spirituelles » dans l’espace émergent des « nouveaux mouvements religieux35 ». Simultanément, un ensemble de rumeurs plus ou moins paranoïdes et de récits fantastiques surgissent sur la scène culturelle, autour de deux représentations répulsives : d’une part, celle de la menace incarnée par des extraterrestres complotant contre l’espèce humaine de diverses manières et, d’autre part, celle de la complicité de certains gouvernements – le gouvernement américain au premier chef36 – avec des extraterrestres mus par des intentions mauvaises, présentés à la fois comme intrinsèquement hostiles et technologiquement supérieurs aux humains. La mythologie conspirationniste est entrée dans une nouvelle phase en intégrant la thématique de l’ufologie d’épouvante ou d’horreur37. L’une des plus frappantes illustrations cinématographiques en est le film réalisé par Roland Emmerich, Independence Day (1995), où la découverte brutale de l’invasion extraterrestre est jumelée avec celle d’un complot de la CIA pour dissimuler l’existence d’un ovni et de cadavres d’aliens étudiés dans une base souterraine secrète et soigneusement gardée38. Cette nouvelle thématique conspirationniste a inspiré nombre de romanciers et de cinéastes, qui ont bâti avec plus ou moins de talent sur les thèmes croisés du « complot gouvernemental » et de « l’invasion extraterrestre39 », voire sur le mythe en formation d’un « complot cosmique40 » lié ou non à une « guerre interga lactique41 ». La réception de leurs œuvres, par une classique « réaction circulaire », a renforcé les croyances conspirationnistes.
La conquête de l’espace et le succès de la science-fiction ont vraisemblablement favorisé les croyances « soucoupistes » et plus largement ufologiques. Une enquête publiée en 1987 par le magazine américain Omni établit que, sur la base d’une analyse des 2 000 réponses faites par ses lecteurs à 450 questions posées, 75 % d’entre eux affirmaient avoir vu un ovni, 42 % avoir eu un « missing time » (trou de mémoire, en référence à la période de temps non mémorisé de l’enlèvement par des extraterrestres), 65 % croire que les ovnis sont d’origine extraterrestre. Un certain nombre d’informations convergentes permettent de faire l’hypothèse plus générale que les croyances aux phénomènes paranormaux se sont banalisées, dans les pays occidentaux, au cours des années 1970 et 1980. Par exemple, les réponses à deux sondages réalisés aux États-Unis à quatorze années d’intervalle, en 1973 et en 1987, montrent une nette augmentation de la proportion des personnes disant avoir eu un contact avec des défunts : 27 % en 1973, 42 % en 1987. Un sondage de grande ampleur effectué en 1992 par la Roper Organization (6 000 personnes interrogées) établissait que les « expériences inhabituelles » susceptibles de renvoyer à des enlèvements extraterrestres touchaient un Américain sur cinquante, pourcentage qui, par extrapolation à la totalité de la population américaine, se traduirait par le chiffre de 3700000 Américains « abductés42 » ! Une étude réalisée dans cinq villes cana- diennes en 1997 établit que 9,6 % des persones interrogées pensent avoir vu des ovnis (ce qui se traduirait par près de trois millions de Canadiens !), plus de 52 % croient que certains ovnis sont des appareils spatiaux extraterrestres, et oplus de 57 % que l’existence des ovnis fait l’objet d’une dissimulation militaire ou gouvernementale. La thèse du complot politico-militaire pour cacher l’existence des contacts avec des extraterrestres « visiteurs » se rencontre dans de nombreux résultats de sondages réalisés au Canada et aux États-Unis, notamment à partir du milieu des années 1990. Selon une étude faite à Medford (Wisconsin) en 1994, 60 % des personnes interrogées accordent crédit à la rumeur selon laquelle l’armée dissimulerait des corps d’extraterrestres. Un sondage réalisé en 1995 avec la participation de l’Université de l’Ohio indique qu’un Américain sur deux croit que les ovnis sont réels et que le gouvernement fédéral cache la vérité à leur sujet. Selon l’étude de Time poll publiée par CNN le 15 juin 1997, 80 % des Américains pensent que le gouvernement cache la vérité sur l’existence des formes de vie extraterrestres et 64 % que des extraterrestres ont établi des contacts avec des humains. Un sondage Gallup publié en septembre 1997 indique que 71 % des Américains croient que le gouvernement fédéral en sait plus sur les ovnis qu’il ne le dit. En 2005, un sondage réalisé à l’initiative de CNN établit que 80 % des Américains croient leur gouvernement est entré en relation avec des extraterrestres, mais qu’il dissimule ces contacts.
Dans l’enquête effectuée en France par la Sofrès en janvier 1993, 55 % des personnes interrogées disent croire à la transmission de pensée (même pourcentage pour les guérisons par magnétiseur), 46 % à l’explication des caratères par les signes astrologiques, 35 % aux rêves qui prédisent l’avenir, 24 % aux prédictions des voyantes, 19 % aux envoûtements et à la sorcellerie, 18 % aux passages sur terre d’êtres extraterrestres. En outre, 51 % des personnes interrogées disent croire qu’un jour la science admettra la réalité des ovnis43. Les résultats d’un sondage effectué par l’hebdomadaire Der Spiegel en 1994 montrent que, vers le milieu des années 1990, ces croyances sont désormais fort répandues en Europe de l’Ouest : la moitié des personnes interrogées en Allemagne disent croire à l’existence d’extraterrestres et un tiers d’entre elles aux ovnis44. À cela s’ajoute l’afflux des « témoins » : selon l’ufologue J. Allen Hynek, s’exprimant à la fin des années 1960, plus de 60 millions de personnes dans le monde auraient vu des ovnis45 ! La nouvelle culture conspirationniste mondiale s’est constituée comme une synthèse des diverses traditions conspirationnistes, par collage et bricolage idéologique d’ingrédients préexistants, empruntés et mixés en vue de répondre au besoin principal du moment, ce qui revient à répondre à un certain type de questions : qui dénoncer? qui est responsable de nos malheurs? qui est notre véritable ennemi ?

L’« Illuminisme légendaire », indéfiniment recyclé depuis l’époque de sa formation (entre 1788 et 1798), ne saurait faire oublier la réalité historique de l’« Ordre des Perfectibilistes » ou « Ordre des Illuminés46 », fondé par Adam Weishaupt le 1er mai 1776 dans la petite ville universitaire d’Ingoldstadt en Bavière47. Ce double mode d’existence de la figure des « Illuminés », réalité historique et construction mythique, entre lesquelles l’écart se creuse ou se resserre, constitue le point de départ de notre analyse, qui s’inscrit dans le cadre d’une anthropologie historique des mythes modernes. Les « Illuminés » ou « Illuminati », représentations sociales extraites de leur époque et de leurs lieux de naissance, devenues des types abstraits, en sont venus à constituer une figure mythique prenant place dans l’espace des récits modernes du complot48. Récits catastrophistes centrés sur la dénonciation de l’action invisible et nuisible des « sociétés secrètes », qui véhiculent la vision d’une manipulation à la fois occulte et terriblement efficace.
Précisément, l’« Ordre des Illuminés », échappant à son créateur Weishaupt, s’est construit comme un groupe mythique répulsif, devenant le paradigme de la « société secrète » active et conquérante, présente sans être perceptible dans la société démocratique moderne, pluraliste et tolérante, où elle vit comme poisson dans l’eau, après en avoir permis l’avènement par la destruction programmée de l’Ancien Régime. Pour ceux qui n’auraient fait qu’en entendre parler, les « Illuminati » font sourire. Pour d’autres, imprégnés des thèmes conspirationnistes, les « Illuminati » font peur. Mais, en amont de cette peur, il y a eu un long travail d’élaboration et de diffusion de représentations négatives les prenant pour objet, les transformant en être étranges et inquiétants, parce que puissants, dissimulés et malfaisants. Travail de mythologisation. Dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg (1821), Joseph de Maistre les stigmatisait ainsi : « On donne ce nom d’illuminés à ces hommes coupables, qui osèrent, de nos jours, concevoir et même organiser en Allemagne, par la plus criminelle association, l’affreux projet d’éteindre en Europe le Christia nisme et la souveraineté49. » Quant à l’abbé Augustin Barruel, dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme (1797-1798), avant d’analyser la « Conspiration des sophistes » (celle des « Illuminés de Bavière », objet du tome troisième des Mémoires), il prévenait ainsi son lecteur : « La Conspiration qui me reste à dévoiler […] est celle des Illuminés de l’Athéisme, celle que j’annonçais […] sous le titre de Conspiration des Sophistes de l’Impiété et de l’Anarchie, contre toute Religion et contre tout Gouvernement, sans exception même des Républiques; contre toute société civile et toute propriété quelconque50. »
L’idée simple, trop simple pour n’être pas simpliste, que la Révolution française a eu pour cause principale l’action des « sociétés secrètes », parmi lesquelles l’Ordre des « Illuminés de Bavière », aurait joué un triple rôle de cause motrice, de modèle et d’agent fédérateur, cette idée était devenue une évidence pour un grand nombre d’auteurs catholiques écrivant dans la seconde moitié du XIXe siècle. En 1877, l’un des spécialistes reconnus des « sectes » et des « sociétés secrètes », l’auteur catholique et antimoderne Claudio Jannet, publie un bref essai sur les méfaits commis par ces groupements occultes, dans lequel il développe la thèse générale suivante : « Où est donc la cause agissante de la Révolution, cause universelle et étendue comme elle? C’est s’égarer à dessein que de la chercher en dehors des sociétés secrètes, qui depuis un siècle et demi couvrent l’Europe et le monde. Leur action extérieure a commencé précisément avec le second tiers du XVIIIe siècle et, après cinquante ans de préparation, l’explosion de 1789 a eu lieu51. » Mais la cause étant diabolique, elle est désignable comme l’ennemi par excellence. Et c’est la franc-maçonnerie que Jannet identifie comme la figure de l’ennemi absolu : « La Franc-Maçonnerie, qui est la source et comme la mère de toutes les sociétés secrètes, est essentiellement cosmopolite. Contrefaçon de l’Église catholique, elle aspire à régir l’humanité entière et elle est identiquement la même sur tous les points du globe52. » Le polémiste catholique reprenait ainsi en écho la condamnation prononcée par le pape Pie IX dans son discours du 29 mai 1876 : « Toutes les sociétés secrètes, à la fin, ont porté leurs eaux troubles et fangeuses dans le marécage de la Maçonnerie53. » C’est surtout la propagande catholique qui, avec une radicalité croissante à partir des années 1870, a diffusé en Europe le mythe répulsif de la franc-maçonnerie comme « société secrète » et puissance occulte vouée à la destruction de toutes les institutions créées par « la Civilisation », pour installer son règne universel. Dans son petit livre de combat, résumant un système explicatif assez largement accepté en son temps, Jannet insistait sur l’identité de nature entre la franc-maçonnerie et la Révolution : « Une pareille puissance, avec des forces doublées par le secret dont elle s’entoure, est parfaitement capable de mener le monde à la fois par ses intrigues et par l’opinion publique qu’elle dirige à son gré54. » La conquête du monde par la manipulation de l’opinion, organisée par un ou plusieurs groupe(s) de conspirateurs : le modèle est bien en place dans la seconde moitié du XIXe siècle, et fonctionne comme un mode d’explication des événements historiques et de leur enchaînement, au moins depuis la création de la franc-maçonnerie au début du XVIIIe siècle55. Quoi qu’il en soit, la « légende de l’Illuminisme » est devenue une composante centrale de la mythologie antimaçonnique, présente dans toutes ses variantes et les formes hybrides de cette dernière, en particulier dans le mythe du « complot judéomaçonnique56 », qui a pour ainsi dire ethnicisé les thèmes d’accusation tout en les radicalisant.
Cet imaginaire manichéen, structuré par l’idée d’une lutte inexpiable entre des « sociétés secrètes » vouées à conspirer et l’ordre chrétien incarné par l’Église (ou, depuis 1945, l’Occident démocratique/libéral) contraint de résister pour survivre, est devenu un stock de matériaux symboliques dans lequel puisent romanciers et cinéastes, essayistes, créateurs de jeux vidéo, dessinateurs et scénaristes de BD57. Qui n’a entendu parler du jeu de rôles conçu par Steve Jackson, Illuminati, auquel fait référence un personnage du thriller ésotérique de Dan Brown, Anges et Démons? Depuis le début des années 1980, des millions d’amateurs passionnés ont joué au jeu Illuminati, qui met notamment en scène huit « sociétés secrètes » ou « sectes » puissantes supposées dangereuses, dont quelques-unes sont de pures inventions, toutes cherchant à exercer le « contrôle du monde » et luttant par tous les moyens pour atteindre cette fin58. On reconnaît dans ces figures plusieurs organisations dénoncées litaniquement par les auteurs spécialisés dans la littérature du complot, pamphlétaires situés à l’extrême droite qui, chrétiens intégristes ou racistes défenseurs de la « race blanche » (néo-nazis compris), attribuent tous les malheurs de l’humanité à l’action malfaisante de groupements occultes, qu’ils soient fantasmés ou purement fictifs. Mais l’imaginaire complotiste touche bien d’autres milieux et secteurs de la population américaine. Par exemple, l’organisation politique La Nation de l’Islam (« The Nation of Islam »), à base ethno-raciale (réservée aux « Américains-Noirs ») et religieuse, dirigée par le démagogue Louis Farrakhan, diffuse les thèmes classiques de la littérature conspirationniste européenne (à dominante anti-judéomaçonnique), à travers tracts, conférences et livres. Mais elle innove aussi en matière d’accusations conspirationnistes. Son racisme anti-Blancs se traduit avec une virulence particulière par des écrits ou des propos antijuifs. En 1991, cette organisation incarnant une variante extrémiste du « black nationalism » et de l’afrocentrisme a publié un pamphlet antijuif, The Secret Relationship Between Blacks and Jews (Boston, « Département de recherche historique » de la NoI), soutenant que la traite des esclaves africains-noirs avait été organisée secrètement par les Juifs, accusés d’avoir été les « opérateurs majeurs de cette entreprise59 », qui aurait abouti à un « Holocauste ». En mars 1992, Farrakhan accuse les « Blancs » de vouloir exterminer les « Noirs » par la propagation du virus du sida60. Ce thème d’accusation s’intègre dans le grand récit mythique du complot « blanc » pour accomplir, par divers moyens, le « Black Holocaust ». En 1994, l’une des maisons d’édition liées à cette organisation a réédité la traduction américaine (originellement parue en 1929) d’un classique de l’antimaçonnisme et de l’antisémitisme dû à un Français, le théoricien catholique traditionaliste et contre-révolutionnaire Léon de Poncins (1897-1976) : Freemasonry & Judaism : Secrets Powers Behind Revolution (l’original français, paru en 1928, s’intitulait Les Forces secrètes de la Révolution. Franc-Maçonnerie et judaïsme) 61. La Nation de l’Islam diffuse également les Protocoles des Sages de Sion. Baignant dans cette culture politique conspirationniste, Farrakhan peut lancer publiquement, par exemple, que « tous les présidents [américains] depuis 1932 sont contrôlés par les Juifs62 ».
Le culturel le plus ludique rejoint à sa manière le politique le plus extrémiste. Durant les deux dernières décennies du XXe siècle, quelque chose comme une imprégnation « illuministe » s’est opérée, d’abord aux États-Unis, puis dans les pays occidentaux, ensuite partout dans le monde, du moins chez ceux qui ont accès aux nourritures symboliques fournies par les divers médias.
Ce faisant, ces créateurs culturels renforcent, souvent malgré eux, l’influence exercée par les nombreux publicistes spécialisés en littérature « ésotérique » qui, depuis les années 1990, bénéficient d’un public croissant porté par une mode persistante. En parlant de littérature et, plus largement, de culture « ésotérique », à quoi renvoyons-nous ? Avant d’entrer dans ce domaine mal défini, aux contours flous, disons, en première approximation, sans faire intervenir de critères concernant le contenu doctrinal, qu’il s’agit des produits culturels (livres, revues, cassettes audio ou vidéo) qu’on trouve dans les librairies dites « ésotériques63 ». La dénonciation de l’action maléfique des « sociétés secrètes » s’est constituée en lieu commun, en même temps que se banalisaient les explications magiques de la marche du monde en termes de « complot ». Le postulat est que le monde est plein de signes et d’indices plutôt inquiétants, qu’il faut savoir interpréter ne serait-ce que pour survivre. Pour ceux qui veulent comprendre, la lecture des signes est impérative. Explorons brièvement l’univers des signes tel que le « vit », en le rêvant, un esprit mêlant un regard ésotérique (serait-il fruste ou peu cultivé) à une vigilance conspirationniste. La puissance occulte des « maîtres du monde », anciens et nouveaux, comme la présence secrète d’extraterrestres envahisseurs sur notre planète, laissent des traces parfois effacées ou dissimulées par des gouvernements manipulateurs et complices, des traces que les citoyens ordinaires ont intérêt à suivre pour découvrir d’où viennent leurs malheurs, et bien sûr réagir le plus efficacement possible – thèmes privilégiés dans la culture ufologique à l’américaine, dont témoigne la série télévisée X-Files, dont la leçon est que « la vérité est ailleurs ». La série X-Files (« Aux frontières du réel »), qui a obtenu un immense succès international dans les années 1990, met en scène deux agents du FBI confrontés aux manipulations et aux complots du gouvernement américain ou de l’armée, face à la présence réelle ou fantasmée d’extraterrestres. La tension entre la recherche d’une explication rationnelle (incarnée par l’agent spécial Dana Scully) et la croyance aux phénomènes paranormaux (représentée par l’agent Fox Mulder, surnommé « Spooky Mulder64 » par ses collègues) caratérise l’ambiance générale de la série, où le sentiment du mystère bascule souvent dans la certitude du complot. La série, tout entière structurée par la tension entre le rationnel et l’irrationnel, s’inscrit dans le genre du fantastique. X-Files, qui fut diffusée aux États-Unis de 1993 à 2002, et en France à partir de 1994, a inauguré et favorisé la nouvelle vague des séries fantastiques à la télévision dans les années 199065.
Mais le monde est aussi parsemé de merveilleuses coïncidences, que seuls perçoivent ceux qui sont en possession des facultés requises ou qui s’y sont préparés. Le monde imaginé redevient plein de forces invisibles, de puissances bénéfiques ou maléfiques, de phénomènes surnaturels, de personnages dotés de facultés magiques. « Renouveau de l’enchantement », diagnostiquait Gilbert Durand dès le début des années 198066. Resacralisation du monde67. Le goût du merveilleux et la fascination du fantastique y trouvent matière à satisfaction, voire à jubilation. C’est la voie la plus simple – la plus simpliste ? – prise par le réenchantement du monde, réaction contre les excès de la rationalisation technicienne des deux derniers siècles.
Fabriqués avec de tels ingrédients, des produits culturels de divers types ont rencontré un succès commercial imprévu. D’abord dans le genre des récits d’aventures spirituelles ou de voyages initiatiques destinés à être exemplaires (devenir des « leçons de vie »), et dont l’argument de vente est du type « Éveillez votre potentiel spirituel » ou « Découvrez votre mission sur terre ». C’est l’un des nouveaux secteurs culturels où le goût du merveilleux et les bons sentiments sont exploités. L’écrivain brésilien Paulo Coelho, dans le genre de l’ésotérisme New Age, fait désormais figure de précurseur, avec l’immense succès de son roman L’Alchimiste, paru en 1988 (soixante millions d’exemplaires vendus68, où l’écrivain « initié69 » propose une recette pour le bonheur individuel : son héros, Santiago, poursuit la réalisation de sa « Légende personnelle » à travers la perception la plus attentive possible des coïncidences significatives. L’histoire de la transformation individuelle est indissociable d’une aventure où le héros prend des risques et affronte de multiples dangers, comme l’illustre un autre best-seller de la littérature New Age, La Prophétie des Andes, de James Redfield70. Il y a là une exploitation commerciale réussie de cette quête du sacré hors du religieux institutionnel (dont l’Église reste en Occident le paradigme), qui trouve par ailleurs de multiples illustrations, toutes impliquant une recherche personnelle et revendiquant le principe du libre choix des croyances comme des pratiques71.
Mais ce qui retient particulièrement notre attention, c’est l’immense succès international, en 2004 et 2005, des deux « thrillers théologiques » ou « ésotériques » de Dan Brown, Da Vinci Code (bilan en juin 2005 : trente millions d’exemplaires vendus) et Anges & Démons, après celui des deux films d’aventures s’inspirant d’un célèbre jeu vidéo, Lara Croft-Tomb Raider. Les Illuminati y sont présents, et fort actifs, incarnant le Mal (Tomb Raider), ou, chez Dan Brown, jouant le rôle des résistants ou des rebelles face à tel ou tel grand complot (car on complote à l’Opus Dei ou dans les caves du Vatican, infiltré par les « Illuminati »72, quitte à trouver refuge dans le très mystérieux « Prieuré de Sion »73. Dans ces œuvres de fiction, l’intrigue palpitante se fonde sur la mise en scène de sociétés secrètes et de groupes de conspirateurs engagés dans une lutte à mort pour le pouvoir, la puissance ou la richesse, le moteur passionnel de l’action étant le désir de dénicher des trésors cachés, de décrypter des textes codés ou de s’emparer de secrets bien gardés. Pour le Bien ou pour le Mal, lesquels sont souvent indiscernables, car, comme dans les bons romans policiers, les méchants sont des gentils méconnus, et les gentils des méchants masqués. Mais il y a toujours un héros qui démasque les imposteurs, les prévaricateurs et les menteurs – l’universitaire Robert Langdon, dans les romans de Dan Brown.
Le goût de l’occulte n’est certes pas synonyme d’occultisme, pas plus que le goût du secret ne suffit à définir un savoir ésotérique. Et la réalité des complots n’a pas à être niée au nom des ravages causés par ce qu’il est convenu d’appeler la « théorie du complot », le « complotisme » ou le « conspirationnisme ». Il y a bien des lobbies, des mafias, des réseaux criminels dont les membres organisent des conspirations : en témoigne par exemple l’assassinat du président John F. Kennedy à Dallas, en 1963. Cet assassinat est devenu lui-même un thème privilégié de la littérature conspirationniste américaine, exporté depuis longtemps chez les conspirationnistes européens74. Milton William Cooper affirme par exemple que, si Kennedy a été assassiné, c’est pour l’empêcher de révéler les relations entre le gouvernement et les extraterrestres75. Il est vrai que les auteurs conspirationnistes sélectionnent et hiérarchisent : les complots ayant abouti aux assassinats respectifs de Jules César, du tsar Alexandre II, de l’archiduc Ferdinand ou du président Anouar al-Sadate, dont les conséquences sociohistoriques furent pourtant considérables, les intéressent infiniment moins que l’affaire Kennedy, voire que le suicide (ou la mort involontaire par overdose de barbituriques) de Marilyn Monroe ou la mort accidentelle de la princesse Diana, faits divers qui, donnant prise au soupçon, ont provoqué un déferlement d’écrits conspirationnistes76. Les gouvernements eux-mêmes peuvent organiser des complots : le Watergate aux États-Unis, l’affaire du Rainbow Warrior en France. L’imaginaire conspirationniste – qui existe et s’avère fort répandu – peut lui-même être instrumentalisé par des comploteurs réels, afin de disqualifier d’éventuels enquêteurs devenus gênants, voire dangereux. « Occultisme », « ésotérisme », « conspirationnisme » : mots qui cachent ou brouillent au moins autant qu’ils éclairent. En dépit des apparences lexicographiques (ce sont des mots en « isme »), ils ne désignent pas des idéologies politiques. Mais leurs composantes peuvent se reconnaître à l’état dispersé, entrant au sein de diverses synthèses, dans le champ politique autant que dans le champ culturel, champs qui, distingués par commodité, n’ont pas eux-mêmes de frontières clairement déterminables. Il faut bien pourtant, avec les précautions requises (la plus simple étant la mise entre guillemets des termes problématiques, avant de les définir), considérer le fait que la nouvelle culture populaire mondiale (ou mondialisée) se fabrique avec des miettes d’« occultisme », d’« ésotérisme » et de « conspirationnisme ». Ce qui ne va pas sans certaines conséquences politiques, s’il est vrai que le culturel précède le politique, voire l’oriente et le modèle, jusqu’à le reconfigurer sous certaines conditions.
1 Carr, 1998, p. 6. Pour lire les références bibliographiques complètes, se reporter en fin de volume, p. 509-594.
2 Voir surtout Robison, 1797, et Barruel, 1797-1798.
3 Barruel, 1973, t. II, pp. 21-22. Weishaupt (1748-1830) avait été prénommé « Jean Adam » (Le Forestier, 2001, p. 16).
4 Voir Barruel, 1973, passim.
5 Dans la littérature anti-judéomaçonnique telle qu’elle s’est reformulée après la diffusion hors de Russie des Protocoles des Sages de Sion (donc à partir de 1920), par exemple, lesdits « Sages de Sion » sont imaginés comme les dirigeants secrets du peuple juif en même temps que les chefs occultes de la franc-maçonnerie, à travers laquelle ils sont censés dominer le monde.
6 Ségur, 1884 (62e éd.), pp. 44-45. Précisons qu’à l’exception des cas contraires (expressément mentionnés), tous les termes en italiques, comme certaines singularités typographiques (celles que nous avons cru devoir retenir), sont dus à l’auteur dont le texte est cité.
7 Tast, 1935, p. 8.
8 Principaux auteurs : Keel (1970a), Deyo (1978-2004), Cooper (1989-2004 et 1991), Keith (1994a, b et c), Icke (1999-2001, 2002 et 2005), Holey (1993-2001, 1995-2001 et 2004), Hatem (2002). Pour une analyse critique, voir Barkun, 2003, pp. 65-157. Voir aussi infra, ch. I, pp. 57 sq.
9 Dans les études savantes, l’expression est parfois mise au pluriel : « théories du complot », « conspiracy theories » (ou « plot theories »), « Verschwörungstheorien ». Voir Gugenberger/Petri/Schweidlenka, 1998 (qui étudient les « théories du complot mondial » : « Weltverschwörunstheorien ») ; Caumanns/Niendorf, 2001 ; Reinalter et al., 2002 ; Pipes, 1997, pp. 1-19 (chap. 1 : « Conspiracy Theories Everywhere ») ; Fenster, 1999 ; Ramsay, 2000.
10 « Une théorie du complot [conspiracy theory] est la peur d’un complot inexistant. Complot désigne une action, théorie du complot une perception » (Pipes, 1997, p. 21).
11 Peur de la « subversion » par des révolutionnaires conspirateurs, justifiant l’organisation de complots « contre-subversifs ». Pour le cas américain, avec le « style paranoïde » en politique, voir Davis et al., 1972 ; Curry/Brown, 1972 ; Robins/Post, 1997.
12 Beck, 2001.
13 Voir, sur la « Verschwörungshypothese », l’analyse d’Armin Pfahl-Traughber, 2002, pp. 30-31.
14 Dans son ouvrage de référence portant le titre Die These der Verschwörung (« La thèse du complot »), l’historien des idées Johannes Rogalla von Bieberstein étudie les multiples représentations du complot depuis la fin du XVIIIe siècle, dans des constructions idéologiques où des complots de divers types sont attribués aux « philosophes » (des Lumières), aux jacobins, aux Juifs, aux francs-maçons, aux libéraux, aux socialistes, etc. En faisant commencer son enquête en 1776, l’historien allemand reconnaît l’importance, dans l’histoire moderne des configurations conspirationnistes, des « Illuminés de Bavière », à la fois comploteurs amateurs réels – qui voulaient instaurer le règne définitif de la Raison – et objets d’une surinterprétation démonisante qui les construisit comme une puissance de subversion universelle. Voir Rogalla von Bieberstein, 1978, pp. 70-79, et 2002, pp. 21-23 ; Poliakov, 1980, pp. 149-154. Comme Norman Cohn (1967) et Léon Poliakov (1980 et 1992), l’historien allemand prend donc pour objet les sens 2, 3 et 4 de la « théorie du complot » : idée, idéologie et mythe.
15 Furet, 1978, p. 78.
16 Furet, 1978, p. 44.
17 Sur le concept d’« idéologie du complot », les principales idéologies complotistes et leurs fonctions, voir Pfahl-Traughber, 2002, pp. 32-39.
18 Voir Pipes, 1997, pp. 43-44.
19 Poliakov, 1980, p. 11, note 1.
20 Poliakov, 1980, p. 10.
21 Voir l’analyse, par Poliakov (1980, pp. 78-85), du complot judéo-jésuite dans le Troisième Reich. Tout « mégacomplot » s’inscrit dans le champ de la lutte pour la domination du monde. Voir Girardet, 1986, pp. 31-41.
22 Furet, 1978, p. 44.
23 Cohn, 1967, pp. 25-29, 248-265. Après Cohn, Poliakov (1980, p. 36) insistait justement sur le « rôle moteur des obsessions démonologiques ».
24 Cohn, 1967, p. 249.
25 Cohn, 1967, p. 18 (traduction modifiée).
26 Michael Curtis, « Introduction » à M. Curtis (ed.), Antisemitism in the Contemporary World, Boulder et Londres, Westview Press, 1986, p. 11.
27 Illustrations au XXe siècle : Jouin (1920), Rosenberg (1923-1924), Webster (1924-1964), Queenborough (1933-1975), Carr (1958-1998), Cooper (1991), Holey (1993-2001), Icke (1999-2001).
28 Robertson, 1991, p. 180. Ce pamphlet, The New World Order, s’est vendu à plus de 500 000 exemplaires. Pat Robertson, évangéliste et homme politique qui eut son heure de gloire lorsqu’il fit campagne pour être candidat (républicain) à l’élection présidentielle de 1988, est un populiste de droite à l’américaine, dénonçant inlassablement le « complot contre les États-Unis », conduit notamment par la « finance internationale », le mouvement communiste et un certain nombre d’organisations stigmatisées comme « mondialistes » (la Commission trilatérale, le groupe Bilderberg ou le Council of Foreign Relations, CFR). Voir Pipes, 1997, en partic. pp. 9-11, 141-143 ; Fenster, 1999, en partic. pp. 147 sq., 169-176 ; Ramsay, 2000, pp. 50, 59 (note 24) ; Knight, 2000, pp. 23 sq. ; Goodrick-Clarke, 2002, p. 280 ; Barkun, 2003, pp. 53-54, 79-80, 180.
29 Voir Pipes, 1997, pp. 42-43.
30 Dans cet essai rédigé en 1958 (Carr, 1998), William Guy Carr (1895-1959) paraphrase le titre du livre célèbre de John Robinson (1797), l’homologue écossais de l’abbé Barruel : Preuves d’une conspiration contre toutes les religions et tous les gouvernements en Europe […], mais procède en même temps à une transformation décisive : il fait passer la conspiration de l’espace européen à l’espace mondial.
31 Sur le « Bilderberg Group », association élitiste existant réellement et entité mythique démonisée, voir Knight, 2003, pp. 123-124 (article de Marlon Kuzmick) et p. 484, note 85.
32 Poliakov, 1980, pp. 15-27, et 1992.
33 Étant donné qu’il est de notoriété publique que la CIA conduit des actions secrètes et organise des opérations en marge de la politique officielle américaine, elle représente une cible privilégiée pour tous les dénonciateurs de complots imaginaires. Ces derniers voient la main invisible de la CIA dans tous les bouleversements mondiaux. L’existence d’une base empirique pour les inférences les plus délirantes confère à ces dernières une vraisemblance que les professionnels du conspirationnisme savent exploiter. Depuis 1947 (année de création de la célèbre Agence) et l’entrée dans la période de la guerre froide, la CIA est régulièrement inscrite dans les figures mythiques du « Gouvernement invisible » ou du « Gouvernement secret ». Voir Knight, 2000, pp. 28 sq., 86 sq., 148-152.
34 Voir Livre jaune n° 6, 2001, pp. 379-413 (chap. 21 : « La surpopulation et les méthodes pour y remédier », en partic. pp. 392-399 : « Des virus mortels contre la surpopulation »). Nous reviendrons sur les écrits conspirationnistes de Jan van Helsing (pseudonyme utilisé par Jan Udo Holey), traduits en français sous le titre générique Livre jaune, dont trois volumes ont été publiés de 1997 à 2004 par les Éditions Félix. D’autres auteurs dénoncent le sida comme une « arme génétique ou ethnique », destinée à tuer sélectivement et en masse des catégories d’humains. Pour la version « gay » du complot, voir Cantwell, 1993. Le leader du mouvement « nationaliste » afro-américain La Nation de l’Islam, Louis Farrakhan, a repris cette accusation à son compte, dénonçant un complot de l’Amérique blanche contre les Noirs, voire la volonté de réaliser un « Holocauste des Noirs » (voir infra). Voir aussi Goliszek, 2005, pp. 340-358, qui pose prudemment cette question rhétorique : « Le sida aurait-il pu être une arme génétique ou ethnique accidentelle ? » (p. 358). Un esprit conspirationniste
remplace l’accidentel par le programmé ou le planifié. L’un des principaux auteurs sur lesquels s’appuient la plupart des dénonciateurs du prétendu complot est Leonard G. Horowitz, dont le livre aussi délirant que monumental, publié en 1996 (2e éd. augmentée en 1998), a été traduit en français et publié par les Éditions Félix : La Guerre des virus. Sida et Ébola. Naturel, accidentel ou intentionnel ? (2000). Les deux thèses couplées d’Horowitz sont que le virus du sida a été produit artificiellement et qu’il a été propagé intentionnellement. Le pionnier de ces accusations, Peter Duesberg (1996), est lui-même dénoncé par Horowitz comme un agent du complot. Dans tous les cas de figure, la CIA est censée jouer un rôle capital. Voir Knight, 2000, pp. 199-203, 277 (note 93).
35 Ces derniers sont souvent accusés de n’être que des « sectes » par des auteurs s’exprimant soit au nom de « la Raison » et de la « lutte contre l’irrationnel », soit en tant que défenseurs des grandes religions institutionnelles (l’Église catholique au premier chef). Sur le flou des critères permettant de reconnaître une « secte » parmi les « nouveaux mouvements religieux », voir Mayer (J.-F.), 1985 et 1987 ; Champion/Cohen, 1999. Si les textes internes à certaines « sectes » montrent une imprégnation conspirationniste, la vision du monde de certains « chasseurs de sectes » n’échappe pas non plus à la thématique du complot (les « sectes » remplaçant les « sociétés secrètes » dans le rôle de la principale menace pesant sur le genre humain).
36 Voir Ramsay, 2000, pp. 70-84 ; Nixon, 2002.
37 UFO étant l’abréviation de « Unidentified Flying Object » (objet volant non identifié, ou ovni), il est devenu courant de désigner par le terme d’ufologie la discipline (non académiquement reconnue) consacrée à l’étude du phénomène ovni et, par extension, à celle des extraterrestres. Le mot « ufologie » est assurément trompeur lorsqu’il paraît ranger dans la même catégorie les recherches scientifiques sur certains phénomènes « inexpliqués » et les « révélations » fantaisistes de farfelus ou d’escrocs travestis en « chercheurs ».Dans le vaste domaine aux frontières floues qui est celui de la science-fiction, c’est le secteur du fantastique qui est ici sollicité, où s’opère la mise en scène des frayeurs plutôt que celle des espoirs (relevant de la catégorie du merveilleux ou de l’utopique futuriste). Dans la littérature ufologique que nous considérons dans le présent ouvrage, l’extraterrestre est moins objet d’envie (ou occasion d’espérer) qu’objet de crainte. Elle est assez bien cernée par cette définition involontairement restrictive de la science-fiction donnée en 1976 par Vincent Gallaix : « La science-fiction a toujours reflété les peurs de l’homme […],
la peur des êtres venus d’ailleurs, du péril atomique, de la violence, de la délinquance juvénile, de la pollution, du surpeuplement, de la famine, du mal de l’espace » (cité par par Jacques Van Herp, 1977, p. 43).
38 Voir Costello, 2004, p. 150. Pour d’autres traitements cinématographiques des mêmes matériaux ufologiques et complotistes, voir d’abord MIB. Men in Black, titre de deux films de Barry Sonnenfeld (I, 1997, et 2, 2002), où les membres d’une agence ultra-confidentielle, « K » et « J », « discrets, efficaces, vêtus de noir », régulent l’immigration extraterrestre sur Terre, sans lésiner sur les moyens. Ce faisant, ils constituent pour les Terriens leur « ultime protection contre la vermine intergalactique ». Dans un autre genre, voir The Mothman Prophecies (« La Prophétie des Ombres », 2002), film de Mark Pellington adapté du récit (portant le même titre) de l’ufologue John A. Keel (1975 ; tr. fr. en 2002), avec Richard Gere dans le rôle du journaliste « John Klein », dont les aventures sont celles de Keel, et où l’on croise les mythiques « hommes en noir ». « Mothman » désigne l’homme-phalène, créature aux grandes ailes et aux terrifiants yeux rouges surgissant la nuit, qui a terrorisé des dizaines de « témoins » en 1966 et 1967 dans les environs de Point Pleasant (Virginie-Occidentale). Ceux qui auraient vu distinctement cette « créature étrange » au « regard glaçant » seraient morts peu après. Venu sur place pour enquêter, le journaliste John Keel devient le témoin d’événements bizarres qu’il interprète comme des phénomènes paranormaux (sa spécialité), à prendre très au sérieux, et en tire un récit, lequel devient un best-seller. Keel voit dans ces phénomènes l’expression de la puissance des « ultraterrestres », entités appartenant à une dimension parallèle, incompréhensible pour les simples mortels. Voir aussi le téléfilm qu’on peut considérer comme précurseur de la vague ultérieure : Les Envahisseurs, série américaine de 43 épisodes produite par la chaîne ABC et créée par Larry Cohen (1967-1968) : enlèvements extraterrestres, conspiration gouvernementale, implantation de puces électroniques, etc.
39 Sur cette thématique transversale, voir Goodrick-Clarke, 2002, pp. 279-302 ; Barkun, 2003, pp. 64 sq.
40 L’expression donne son titre à l’ouvrage de Stan Deyo, The Cosmic Conspiracy (1978), plusieurs fois réédité et traduit en français au Québec en 1986, puis, dans une version augmentée, en 2004. Ce livre est l’un des premiers à présenter une synthèse entre le mythe des Illuminati et un sous-genre de la littérature ufologique qu’on peut appeler « ufologie conspirationniste » (certains préfèrent parler de « conspirationnisme ufologique »), centré sur le programme « Alternative 3 » (1977), objet de délires paranoïaques (transport
de « travailleurs forcés » sur la planète Mars, pour y construire des colonies). Pour nombre d’auteurs conspirationnistes, tel Jan van Helsing (alias Jan Udo Holey), le projet « Alternative 3 » dévoilerait « le plan secret des puissants de notre planète », qui serait « la réduction en esclavage d’une grande partie de la population » (Livre jaune n° 6, 2001, p. 363). Sur les thèses de Stan Deyo (Américain ayant émigré en Australie), proches de celles de Leslie Watkins (1978) et de Jim Keith (1994), voir Barkun, 2003, pp. 57-59.
41 Ce thème est présent dans nombre de romans et de films de science-fiction, voire d’essais. Voir Picknett/Prince, 2001b (l’ouvrage s’intitule significativement The Stargate Conspiracy : The Truth About Extraterrestrial Life and the Mysteries of Ancient Egypt).
42 « Abductés » (de « to abduct » : enlever) : c’est-à-dire ayant fait l’objet d’enlèvements extraterrestres. Une étude statistique réalisée en 1995 aux États-Unis
par Robert Durant établit que cinq millions d’Américains prétendent avoir été enlevés au cours des cinquante dernières années. Selon un sondage de Time poll publié par CNN le 15 juin 1997, 50 % des personnes interrogées disent croire que des extraterrestres ont enlevé des humains. Sur ces sondages, voir Brosses, 1997, pp. 26 sq.
43 Boy/Michelat, 1993, pp. 209-211.
44 Der Spiegel, n° 52, 1994 (cité par Meining, 2004, p. 513). Le même sondage établissait qu’une personne interrogée sur sept disait croire à la magie et aux sorcières.
45 Voir Ronecker, 2001, vol. 1, p. 49.
46 Weishaupt a d’abord baptisé « Orden der Perfectibilisten » son « école secrète de Sagesse », avant de se rabattre sur l’expression « Illuminaten Orden » (Illuminatenorden), moins utilisée par la suite que la dénomination « Illuminés de Bavière », dont le mot « Illuminati » est, dans certains contextes, un synonyme.
47 Sur la réalité historique des « Illuminés de Bavière » (1776-1785) et la formation de la « légende Illuminée », voir Le Forestier, 2001 (1914-1915) ; Dülmen, 1975 ; Roberts, 1979, en partic. pp. 123-200, 284-289, 335-346 ; Schindler, 1983 ; Reinalter et al., 1997 ; Hippchen, 1998. Un problème analogue se pose avec les Templiers, qui peuvent faire l’objet d’études relevant d’une
approche historiographique et fonctionner comme figures symboliques indéfiniment mythologisées (y compris en tant que proto-Illuminés !). Voir Partner, 1992 ; et infra, chap. III.
48 Les autres figures historiques qui ont le plus fortement alimenté la « mythologie des sociétés secrètes » sont les francs-maçons, les jésuites et les Carbonari (Roberts, 1979, p. 274).
49 Maistre, 1980, t. II, p. 227 (onzième entretien). Ces propos du « sénateur » s’adressant au « comte » expriment le jugement de Joseph de Maistre lui-même sur les « Illuminés de Bavière », comme l’indiquent sa correspondance et divers opuscules (Roberts, 1979, pp. 284-289 ; Riquet, 1980, pp. 288-295, et 1989, pp. 113-120).
50 Barruel, 1974, vol. II, p. 11.
51 Jannet, 1877, pp. 10-11.
52 Jannet, 1877, p. 11.
53 Pie IX, cité par Jannet, 1877, p. 11, note 1.
54 Jannet, 1877, pp. 11-12.
55 Si l’on néglige les récits légendaires sur les origines lointaines de la franc-maçonnerie (Mackey, 1996 ; Le Forestier, 2003, pp. 25-82), on sait que ce sont les Constitutions dites d’Anderson (1723 ; texte remanié en 1738), texte canonique et fondateur rédigé peu après la création de la Grande Loge de Londres (24 juin 1717), qui ont défini le cadre général de la franc-maçonnerie. Voir Saunier, 2000, pp. 182-183 (article de Charles Porset) ; Ligou, 2004, pp. 47, 50-56, 303-306, 541-543.
56 Rogalla von Bieberstein, 1976 (1978) ; Pfahl-Traughber, 1993 ; Pipes, 1997 ; Reinalter et al., 2002 ; Lemaire, 2003 ; Goldschläger, 2003 ; Taguieff, 1992 et 2004b; Goldschläger/Lemaire, 2005.
57 En France, voir notamment la série du scénariste Didier Convard, Le Triangle secret (Grenoble, Éditions Glénat, 7 tomes prévus, t. I et II parus en 2004 et 2005 ; un million d’exemplaires vendus), ainsi que les 3e et 4e cycles d’aventures de la série (La) Balade au bout du monde (Grenoble, Éditions Glénat, depuis 1997), de Makyo et Faure (ou Makyo et Laval), et la série Le Scorpion (Dargaud, t. I, 2002) de Marini et Desberg. Dans les trois cas, les intrigues sont fondées sur des complots, ecclésiastiques ou « ésotériques », que des « bons » s’efforcent de dénouer et déjouer. Voir Luc Révillon, Dans le Secret du Triangle. Entretien avec Didier Convard, Grenoble, Éditions Glénat, 2003.
58 Voir infra, chap. IV, notre examen critique du jeu INWO (Illuminati-New World Order).
59 The Secret Relationship…, 1991, p. 178. Voir Pipes, 1997, en partic. pp. 5-6, 24, 30, 41, 157-159 ; Knight, 2000, pp. 162-165; Taguieff, 2002, pp. 141-142, et 2004c, pp. 397-398 (note 83). Sur la démonologie de La Nation de l’Islam et la spécificité du « style paranoïde » de Farrakhan, voir Singh, 1997.
60 Pipes, pp. 5-6.
61 Voir Poncins, 1928 (1929) et 1994. Sur cette traduction et sur Léon de Poncins, voir Taguieff, 2004b, passim, et 2004c, pp. 687 (note 205), 781 (note 431).
62 Farrakhan, cité par Pipes, 1997, p. 6.
63 Je fais ici référence aux livres de David Icke, de Jan van Helsing (pseudonyme de Jan Udo Holey), de Milton William Cooper, de Stan Deyo, de Frank Hatem, etc., sur lesquels je reviendrai tout au long du présent ouvrage. Pour une discussion du concept d’ésotérisme, voir infra, chap. V.
64 « Spooky » : qui fait froid dans le dos (en référence à des fantômes ou à des phénomènes paranormaux).
65 Voir Winckler, 2005a, pp. 77-78, 87; Barthes, 2005. Pour les complots gouvernementaux (où la CIA joue son rôle), voir aussi les films The Pelican Brief (« L’Affaire Pélican », 1993, réalisé par Alan J. Pacula, avec Julia Roberts et Denzel Washington), Nixon (1995, réalisé par Oliver Stone, avec Anthony Hopkins), Conspiracy Theory (« Complots », 1997, réalisé par Richard Donner, avec Mel Gibson, Julia Roberts et Patrick Stewart) et The Skulls (« The Skulls-Société secrète », 2000, de Rob Cohen, avec Joshua Jackson et Paul Walker). Rappelons aussi le film d’Oliver Stone, JFK (1991, avec Kevin Costner), où est affirmée la complicité de la CIA dans l’assassinat du président Kennedy.
66 Voir Durand, 1982. L’anthropologue voyait dans le demi-siècle qui venait de s’écouler le surgissement d’un « vaste mouvement contraire » à celui du « désenchantement du monde » caractérisé naguère par Max Weber (1963, pp. 69-70). Le processus de « désenchantement » (Entzauberung) effectivement à l’œuvre dans le monde moderne n’aurait pas empêché la « résurgence des valeurs du mythe » ou l’émergence d’une nouvelle « Bezauberung », d’un nouveau « réenchantement » du monde (c’est-à-dire de la Nature et de l’Histoire). Durand ajoutait avec lucidité que ce « réenchantement […] s’est souvent fait de façon dramatique » (p. 26). Il peut en effet s’opérer sous le signe du démoniaque autant que sur le mode du féerique.
67 Voir Berger, 2001. « Désécularisation », « resacralisation » ou « réenchantement » fonctionnent dans la littérature sociologique contemporaine, à tort ou à raison, comme des quasi-synonymes.
68 Coelho, 1994 (2005).
69 Paulo Coelho affirme que ses livres dérivent de son adhésion à l’Ordre du RAM (Regnum Agnus Mundi, ou Rigueur-Adoration-Miséricorde), société
« secrète » et/ou « ésotérique » catholique espagnole qui aurait été fondée en 1492 et à laquelle le romancier-maître de sagesse aurait été initié par un homme d’affaires néerlandais rencontré par hasard dans un café d’Amsterdam, en 1970 (Introvigne, 2005, p. 23, note 4).
70 Redfield, 1996. Le titre américain est The Celestine Prophecy : An Adventure (1re éd., 1989), et le titre de la traduction française : La Prophétie des Andes. À la poursuite du manuscrit secret dans la jungle du Pérou (1re éd., 1995), le sous-titre devenant dans l’édition de poche (1996) : « Et si les coïncidences révélaient le sens de la vie? ». Le livre a été vendu à plus de dix millions d’exemplaires. Il a été suivi par de nombreux autres (Redfield, 1997, 2004a et 2004b). Voir Introvigne, 2005, pp. 22-23.
71 Voir Hervieu-Léger, 1999; Lenoir, 2005.
72 Le thème de l’infiltration de l’Église catholique par les francs-maçons, les « sociétés secrètes » ou les « sectes » se rencontre régulièrement dans la littérature produite par certains milieux catholiques, qui ne se réduisent à ceux des marginaux extrémistes. Le fantasme de « l’ennemi intérieur » et invisible fait partie des représentations particulièrement répandues dans les milieux intégristes, où les esprits paranoïdes sont nombreux. Voir infra, chap. III.
73 Voir infra, chap. I.
74 Voir Fenster, 1999, pp. 105 sq. ; Knight, 2000, pp. 76-116.
75 Cooper, 1991, p. 215. Voir Pipes, 1997, passim; Barkun, 2003, pp. 2, 99, 138, 168, 211-212, note 28. Du côté de la littérature conspirationniste, voir Robert Anton Wilson, 1998, pp. 264-268 ; Livre jaune n° 5, 2001, pp. 186-195 ; Livre jaune n° 7, 2004, p. 19 ; Icke, 1999 (tr. fr., 2001), passim.
76 Robert Anton Wilson, dans son glossaire « complotologique » Everything Is Under Control, consacre un article au thème « le meurtre de Marilyn Monroe » (Wilson, 1998, pp. 303-304). Dans Le Plus Grand Secret (1re éd. anglaise, 1999), David Icke délire à la fois sur les Kennedy (John F. et Robert, sans oublier Joseph et Jackie), sur Marilyn et sur Diana (Icke, 2001, t. 1, pp. 16, 67, 73, 125, 145, 212, 238, 242, 315, 356, 391-392 ; t. 2, pp. 18, 82, 97, 100, 113, 115, 121, 123, 149, 161, 181-182, 203, 217, 219, 223, 225-227, 229, 231-235, 240, 245, 250, 252-253, 266, 271, 278, 281, 283, 289, 302, 304, 319-320, 322, 325). Dans Les Enfants de la matrice (1re éd. angl., 2001), Icke revient sur « le meurtre sacrificiel de la princesse Diana aux mains des Illuminati », dans le cadre de leurs rituels satanistes (Icke, 2002, t. 1, pp. 294-296). Holey traite de l’assassinat de Kennedy dans le Livre jaune n° 5 (2001, pp. 186-195), faisant intervenir le « gouvernement secret », identifié par Milton William Cooper en 1989, et bien sûr la CIA, « créée spécialement pour dissimuler l’existence des extraterrestres » (p. 189) : le président américain aurait été éliminé parce qu’il voulait rendre publiques des informations ultra-secrètes sur les ovnis et les aliens, cachés dans des bases souterraines secrètes. Voir Cooper, 2004.