Du goût de « l’étrange » aux jeux complotistes : la culture syncrétique post-chrétienne
Croyances « parallèles » et rigidité mentale
Le lien entre ces croyances « parallèles » et ce qu’on appellera grossièrement « l’extrémisme » avait été relevé
partiellement dans l’enquête sur la « personnalité autoritaire » publiée en 1950 sous la direction de Theodor W. Adorno : les « superstitions », parmi lesquelles l’équipe d’Adorno rangeait notamment la croyance à l’astrologie, constituaient des éléments de la « personnalité autoritaire ». La « superstition » apparaissait donc corrélée avec d’autres traits, comme la « pensée par catégories rigides », c’est-à-dire la tendance à penser par clichés et à employer des stéréotypes rigides concernant différents groupes ethniques ou nationaux, la tendance à voir le monde en termes moins complexes et à être moins tolérants face à l’ambiguïté
5. Dans l’ouvrage publié en 1950 par Adorno et son équipe de chercheurs (comprenant notamment des membres de l’École de Francfort exilés aux États-Unis), ces traits ou ces « variables fondamentales » de la « personnalité autoritaire », résultats d’une analyse de contenu des entretiens réalisés, en rapport avec la construction de l’instrument de mesure qu’est l’échelle d’attitudes dite « F » (échelle d’autoritarisme), sont au nombre de neuf
6 :
1° caractère « conventionnel » : adhésion rigide aux valeurs bourgeoises conventionnelles (en français, cette attitude relève du « conformisme », le terme « conventionnalisme » ayant un tout autre sens) ;
2° soumission à l’autorité : attitude de soumission non critique aux autorités morales idéalisées du groupe d’appartenance (de la famille à la nation) ;
3° agressivité autoritaire : tendance à être à l’affût des personnes qui bafouent les valeurs conventionnelles, et à les condamner, les rejeter et les punir;
4° anti-introspection : opposition ou résistance au subjectif, à l’imagination, à la tendresse ;
5° superstition et stéréotypie : croyance à la détermination par des forces mystiques du destin individuel et tendance à penser par catégories rigides
7 ;
6° pouvoir et « dureté » : sensibilité aux dimensions domination/soumission, force/faiblesse, chef/subordonné ; identification aux puissants, importance excessive accordée aux aspects les plus conventionnels du moi, affirmation exagérée de la force et de la dureté ;
7° destructivité et cynisme : hostilité généralisée, abaissement ou avilissement systématique de l’humain
8 ;
8° projectivité : tendance à croire que des forces destructrices et dangereuses sont à l’œuvre dans le monde (projection en réalité de pulsions inconscientes)
9 ;
9° sexualité : souci exagéré pour les « affaires » sexuelles
10.
Il est à noter que la catégorie de « personnalité autoritaire » recouvre celle de « personnalité anti-démocratique », étudiée par des psychologues sociaux qui furent des collaborateurs d’Adorno
11.
Ces travaux sur la nature et les origines des préjugés ont été à la fois poursuivis et corrigés ou réinterprétés par Milton Rokeach, qui a établi que, si les préjugés résultent d’un style de pensée sursimplifié et rigide, la rigidité mentale ne caractérise pas seulement les individus aux idées politiquement conservatrices ou « potentiellement fascistes et racistes ». Les traits d’autoritarisme ne seraient donc pas liés à des positions politiques (de droite ou conservatrices), ni à des contenus idéologiques (réputés « conservateurs » ou « réactionnaires »)
12. Il s’ensuit que l’autoritarisme mesuré par l’échelle F (dans les travaux d’Adorno et de son équipe) doit être réinterprété comme un cas particulier d’un syndrome plus général d’intolérance que Rokeach propose d’appeler « esprit fermé »
(
closed mind) ou « personnalité dogmatique »
13. Ses caractéristiques principales seraient le cloisonnement des différents systèmes de croyance de telle sorte que des croyances mutuellement contradictoires puissent néanmoins être conservées, une résistance au changement en ce qui concerne ces croyances et le recours à l’autorité pour justifier l’exactitude des croyances
14. D’où l’hypothèse que le dogmatisme pourrait constituer un processus cognitif très général, trans-idéologique. La « rigidité mentale » (ou la pensée par clichés), la résistance à l’influence (fermeture) et l’intolérance permettraient de construire, par exemple, le système de croyances d’un individu, voire un type de personnalité ou un mode de pensée susceptibles de caractériser un individu indépendamment de ses engagements idéologico-politiques. On postule que le dogmatisme se définit comme l’incapacité d’accepter, pour un sujet, un mode de pensée différent du sien. Il reste à savoir, par exemple, si le dogmatisme est une présupposition de tout extrémisme idéologique. Et s’il est possible de mesurer le dogmatisme, en élaborant une échelle de dogmatisme susceptible de montrer, comme le supposait Rokeach
15, que le dogmatisme est également partagé par la droite et par la gauche. L’hypothèse étant que le dogmatisme caractérise l’extrémisme idéologique quelle que soit sa couleur politique (de droite ou de gauche, de type conservateur ou révolutionnaire), les analyses des enquêtes effectuées sur des populations d’extrême droite et d’extrême gauche devraient démontrer qu’elles manifestent en moyenne un niveau de dogmatisme plus élevé que celui des populations non engagées dans des groupes politiques
16. Un autre outil de
mesure a été construit par Palmer et Kalin en 1991 : l’échelle de rejet dogmatique (échelle DRS :
Dogmatic Rejection Scale), qui permet de mesurer le rejet d’un autrui ayant des croyances différentes, ce qui est censé indiquer un haut niveau de dogmatisme
17. Les résultats de la recherche menée par Nathalie Sgro et Serge Guimond, sur trois groupes distincts (22 militants d’extrême gauche, 17 d’extrême droite et 32 non-militants), suggèrent d’abord que l’échelle DRS est un instrument plus fidèle et valide pour mesurer le dogmatisme que l’échelle D, ensuite qu’elle permet de mettre en évidence un dogmatisme de gauche
18, et, enfin, que les militants d’extrême droite sont significativement plus dogmatiques que les autres participants, alors que les militants d’extrême gauche ne sont pas plus dogmatiques que les non-militants. La conclusion nuancée et provisoire de cette recherche est que le dogmatisme, présent sur l’ensemble du continuum idéologico-politique, semble être un fonctionnement cognitif caractérisant plus les partisans d’une idéologie d’extrême droite que ceux d’une idéologie d’extrême gauche
19.
Ces approches des préjugés ou des croyances en termes de « personnalité autoritaire », privilégiant les « dispositions » ou « prédispositions » (censées avoir été mises en place dans l’enfance des sujets, conformément à une hypothèse empruntée à la psychanalyse), présentent néanmoins une faiblesse relevée par de nombreux auteurs
20 : elles tendent à négliger ou minorer les facteurs d’ordre situationnel, contextuel ou « socioculturels »
21. Dans une étude fondatrice publiée en 1958, le psychologue social américain Thomas Pettigrew montre que les préjugés racistes peuvent ne pas être corrélés avec des scores élevés sur
l’échelle F, donc que, dans une population donnée, les sujets racistes peuvent n’être pas plus « autoritaires » que les autres membres de la population en moyenne, et que les préjugés racistes s’expliquent dans ce cas par la conformité à la norme sociale dominante
22. Le même Pettigrew, dans une autre étude de référence
23, a caractérisé l’« erreur fondamentale dans l’attribution » comme la tendance à attribuer le comportement d’un acteur presque exclusivement aux dispositions de celui-ci et à ignorer corrélativement la situation en tant que déterminant puissant du comportement. Il en résulte que, dans les jugements individuels, des biais apparaissent lorsqu’il s’agit pour un sujet d’expliquer les comportements des membres de l’endogroupe (le groupe d’appartenance du sujet) et de ceux de l’exogroupe (un groupe extérieur). Par exemple, un comportement négatif, tel un acte violent, fait l’objet d’une attribution dispositionnelle lorsqu’il est commis par un membre d’un exogroupe (« c’est bien comme ça qu’ils sont », « ils ne changeront jamais »), mais d’une attribution situationnelle lorsqu’il est accompli par un membre de l’endogroupe (« nous avons été provoqués », « c’est de la légitime défense »). À quoi il faut ajouter que les représentations sociales imposent – certes de façon non strictement déterministe – des explications toutes faites, qui conduisent les acteurs sociaux, quelles que soient leurs dispositions (« autoritaires » ou non), à faire des attributions ou des imputations sur la base du savoir prédonné que ces représentations fournissent. En dépit de ses limites, le modèle de la « personnalité autoritaire », redéfini comme celui du style de pensée autoritaire ou dogmatique, conserve une valeur descriptive
24.
Dans ses récentes enquêtes, le sociologue Guy Michelat a pour sa part observé que plus on est tolérant, plus diminue la fréquence de la croyance aux horoscopes
25. Selon le
paradigme de Rokeach, tout se passe comme si la pensée rigide et le dogmatisme augmentaient avec les formes populaires de croyances astrologiques. D’une façon plus générale, selon une échelle de tolérance construite à partir d’opinions portant sur l’ethnocentrisme et la peine de mort, on observe que la tolérance décroît au fur et à mesure qu’augmente le sentiment d’insécurité. Telle est l’hypothèse interprétative, relevant de la psychosociologie, certainement la plus féconde sur la question : « Les situations objectives et subjectives qui suscitent de l’inquiétude, telles que le sentiment d’insécurité, vont de pair avec une augmentation des croyances parallèles. Or, ces situations voient également le développement de l’intolérance
26. » La demande et la consommation de croyances ésotérico-magiques pourraient ainsi s’expliquer par un fort sentiment d’insécurité, assez largement répandu dans la population, mais beaucoup plus en moyenne chez les plus de quarante ans que chez les jeunes. Or, dans les résultats d’enquêtes d’opinion prenant en compte les préférences partisanes, on observe que l’intolérance augmente nettement chez les personnes interrogées se disant proches de l’extrême droite
27. Faut-il faire l’hypothèse d’une corrélation, dans des situations sociales marquées par un fort sentiment d’insécurité, entre un haut niveau d’intolérance, une identification politique à l’extrême droite et une tendance à consommer des croyances au paranormal? L’hypothèse doit bien entendu être mise à l’épreuve par des recherches empiriques.
En attendant plus de lumières sur ces questions, qui pourraient venir de la psychologie sociale ou de la science politique, il est possible de faire quelques constats. Le processus proprement moderne qu’on appelle la démocratisation, s’accompagnant de la vulgarisation scientifique et de la laïcisation/sécularisation, n’a nullement fait disparaître la croyance en l’existence de forces suprasensibles et en leur action dans le monde sensible. Les représentations
magiques se sont frayé de nouveaux chemins dans l’univers désenchanté des Modernes, notamment dans les multiples formes prises par la religiosité populaire hors du champ religieux institutionnel. En témoigne l’existence d’un vaste marché en expansion d’une littérature populaire exploitant des thèmes ésotériques ou des représentations magiques relevant du fantastique (le modèle le plus réussi de ces fictions restant
Le Seigneur des Anneaux, la grande fresque féerique de J. R. R. Tolkien
28, mais aussi d’une masse d’écrits relevant de la para-histoire ou de la pseudoscience dont le discours confus se pare d’attraits « ésotérico-mystico-magiques » (tel
Le Matin des magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier). La circulation mondiale de ces textes est désormais assurée par un très grand nombre de sites sur le Web. Une production massive de films et de jeux vidéo accompagne la diffusion de cette littérature syncrétique. Dans un passage important d’
Économie et société, Max Weber notait avec perspicacité que le fait de « concevoir les forces “suprasensibles” sous la forme de dieux, même sous celle d’un dieu transcendant, n’élimine nullement, en soi, les anciennes représentations magiques (pas même dans le christianisme)
29 ». Cette remarque peut s’étendre à l’ensemble mal délimité des croyances relevant de la « nébuleuse mystique-ésotérique »
30, abordée comme l’une des plus significatives manifestations des « religiosités parallèles » qui se sont développées à partir des années 1970 dans le contexte du prétendu « retour du religieux ». Car l’extension du concept de « religiosités parallèles » est aussi large que sa compréhension (au sens logique) est vague. Mais, pour explorer de nouveaux domaines d’objets, il faut bien se contenter de concepts flous. La sociologue Françoise Champion propose
une définition descriptive qui a le mérite de la commodité : « Par religiosités parallèles on entendra […], dans le contexte occidental, toutes les religions non chrétiennes, les divers ésotérismes et toutes les croyances et pratiques parareligieuses, anciennes (voyance, par exemple) ou nouvelles (méditation, par exemple)
31. »
Alors qu’elle est censée, en principe, avoir mis fin aux pratiques de magie et de sorcellerie, la croyance au dieu transcendant du christianisme s’est montrée souvent compatible, chez tel personnage ou au sein de tel groupement religieux, avec les croyances au paranormal et à l’astrologie, avec le spiritisme
32 ou l’occultisme, qui impliquent dans de nombreux cas le recours à des pratiques divinatoires ou magiques. Effet pervers de la rationalisation moderne de la théologie chrétienne et de la « raisonnabilisation » des Églises : la prolifération des croyances « irrationnelles » aux frontières du religieux institutionnel, mais surtout à l’extérieur de celui-ci. Mais il faut tenir compte d’un autre grand effet pervers du processus moderne : la démocratisation, qui se développe sur une ligne de complexité croissante, a favorisé le recours au schème du complot pour décrypter les apparences – réduction simplifiante de la réalité sociohistorique aux mauvaises intentions et à l’action occulte de groupes pour qui la fin (dominer le monde) justifie les pires moyens. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les interférences des modes complotistes de simplification et des formes de pensée empruntées
aux traditions ésotériques, dont la culture mondiale émergente offre un saisissant tableau.
Il est temps maintenant d’aborder plus précisément la nouvelle culture ésotéro-complotiste en explorant l’un de ses berceaux dans les années soixante, l’entreprise lancée par Louis Pauwels et ses collaborateurs à travers un best-seller,
Le Matin des magiciens (1960), et le lancement de la revue
Planète, dans un contexte où le mouvement New Age était en train de se constituer, encore largement inspiré par la « contre-culture » gauchiste de l’époque. L’itinéraire de Pauwels, de l’ésotérisme mâtiné de complotisme (à travers une passion pour les « sociétés secrètes
33 ») à la Nouvelle Droite dans sa mouvance néopaïenne, c’est-à-dire le GRECE (fin des années 1970/début des années 1980)
34, pourrait
fournir une illustration sommaire de la thèse selon laquelle les croyances au paranormal sont liées au dogmatisme et à l’extrémisme de droite, sous telle ou telle forme
35.
La culture du mystère et de l’étrange
La nouvelle culture populaire mondiale a intégré la thématique du « pouvoir occulte », mise en relation soit avec le mythe politique classique du complot mondial, soit avec la nouvelle mythologie issue de l’ufologie, mêlant science-fiction d’épouvante et interprétations de « témoignages » de « victimes ». Un sociologue ne peut que s’interroger sur l’intérêt persistant du grand public pour les « sociétés secrètes » ou les « sectes » censées avoir traversé les siècles, qu’elles soient purement chimériques ou qu’elles aient historiquement existé (mais pour être le plus souvent « fictionnées »). Dans les écrits relevant de cette sous-catégorie de littérature populaire, qu’il s’agisse d’essais ou de romans, le cours de l’Histoire apparaît comme le résultat de l’action occulte de « personnages mystérieux » et d’organisations initiatiques, impliquant des pratiques « magiques ». L’immense succès (national, puis international) rencontré par le livre de Louis Pauwels
(ancien disciple de Gurdjieff, avant d’être tenté par Guénon) et Jacques Bergier (vulgarisateur scientifique et amateur de faits insolites, de phénomènes étranges ou mystérieux),
Le Matin des magiciens (1960), suivi par la création de la revue
Planète, organe du « réalisme fantastique
36 », a révélé le goût du public non spécialisé pour l’histoire « mystérieuse », une histoire « alternative » mêlant des thèmes occultistes ou magiques, des aperçus sur de prétendues « théories scientifiques » écartées par la « science officielle » (par exemple, la doctrine cosmologique de Hanns Hörbiger
37, des récits sur l’action des « sociétés secrètes » (souvent mentionnées en référence au nazisme
38 et le réinvestissement de légendes ou de thèmes mythologiques (l’Atlantide et les « civilisations perdues » ou « inconnues »
39, le Saint Graal et les Templiers, l’alchimie, la permanence du paganisme)
40. Les co-auteurs du
Matin des magiciens présentaient ainsi leur livre : « Il est le récit, parfois légende et parfois exact, d’un premier voyage dans des domaines de la connaissance encore à peine explorés
41. » Parmi les « terres interdites » qu’ils se proposaient d’explorer, une place particulière était faite au nazisme, selon l’hypothèse que « l’Allemagne nazie incarnait les concepts d’une civilisation sans rapport avec la nôtre
42 ». La Seconde Guerre mondiale devenait l’inévitable affrontement entre deux « visions du monde » : « l’humaniste » et « la magique »
43. Le nazisme était ainsi situé du côté du mystérieux et de l’étrange, de l’inconnu et du fantastique
44. C’était là jouer l’attrait des « sujets maudits » contre le discours routinisé de la « science officielle », jugée conformiste et timorée. Le mot d’ordre paradoxal de ces prétendus témoins de l’occulte est de ne rien occulter : tel est aussi l’argument fondateur de la parapsychologie, dite encore métapsychique ou psychotronique
45.
Face au nazisme, abordé sous l’angle d’un ésotérisme démagogique, Pauwels et Bergier se faisaient bonimenteurs : « Le nazisme a été un des rares moments, dans l’histoire de notre civilisation, où une porte s’est ouverte sur autre chose, de façon bruyante et visible
46 ». Plus loin, ils précisaient que « la nouveauté formidable de l’Allemagne nazie, c’est que la pensée magique s’est adjoint la science et la technique », et ajoutaient, s’inspirant d’une célèbre
formule de Lénine (incorrectement citée), cette caractérisation inepte : « D’une certaine façon, l’hitlérisme, c’était le guénonisme plus les divisions blindées
47. » Dans sa préface à l’
Histoire des magies de Kurt Seligmann, l’un des premiers volumes de l’Encyclopédie Planète, Jacques Bergier énonce sa thèse sur les origines de la magie, postulant l’existence de civilisations disparues dont l’héritage serait identifiable, à l’état fossile, dans les pratiques magiques : « Il faut admettre […] que les magiciens ont toujours détenu des informations techniques […]. D’où peuvent provenir de telles informations ? Une seule source me paraît possible : une ou plusieurs civilisations disparues ayant atteint un niveau technique supérieur au nôtre et dont quelques traces subsistent encore, à travers les rituels et les recettes
48. » Nous sommes ainsi mis sur la voie des « continents perdus », des « civilisations disparues », des « ancêtres supérieurs » (Atlantes ou habitants de « la terre de Mu ») et des « mystères du ciel » (extraterrestres et ovnis), objet privilégié d’une archéologie fantastique que rendirent populaire les ouvrages de Robert Charroux
49, publiés au cours des années 1960 et 1970 chez Robert Laffont
50. Quelques années avant l’opération
Matin des magiciens/
Planète, Jacques Bergier avait collaboré, avec notamment René Alleau, Michel Carrouges et Robert
Kanters, à la revue
La Tour Saint-Jacques (n° 1, novembre-décembre 1955) qui, sous la direction de Robert Amadou – connu pour ses travaux érudits et exigeants sur « l’occultisme
51 » –, se proposait d’explorer « le royaume de l’inconnu
52 ». Cette revue de qualité traitait de la parapsychologie, de l’alchimie, de l’astrologie et de l’occultisme. La revue
Planète en aura été, au cours des années 1960, la version accrocheuse et « grand public ». Le premier numéro de
Planète sort en octobre 1961. Son objectif déclaré est de « créer un lien entre les lecteurs touchés par
Le Matin des magiciens et la philosophie, l’esthétique, la sensibilité du “réalisme fantastique”
53. » En janvier 1965, Pauwels précise non sans fierté que le tirage du
Matin des magiciens a atteint en Europe les 500 000 exemplaires et que la carrière du livre aux États-Unis a commencé en octobre 1964, il rappelle aussi le succès de l’Encyclopédie Planète (lancée en avril 1963
54, puis annonce la création des éditions Planète
55.
Les théoriciens ésotéro-occultistes, au XX
e siècle, ont souvent pris le mythe de l’Atlantide comme matériau symbolique pour leurs spéculations. En témoignent les nombreux livres publiés sur la question, ceux par exemple, en France, de Paul Le Cour (1871-1954), prophète de l’ère du Verseau
56, et, en langue anglaise, ceux de l’historien écossais de l’occultisme, Lewis Spence (1874-1955), lui-même occultiste
57. Les ouvrages du colonel britannique James Churchward (1852-1936) qui paraissent à partir de 1931 (aux États-Unis) sur le prétendu continent perdu
nommé Mu ou Mû (pendant oriental de l’Atlantide), bricolage mythologique sur des éléments empruntés aux traditions ésotériques, a nourri une littérature foisonnante
58. Les légendes sur l’Atlantide, Mu ou la Lémurie (continent qui, selon Mme Blavatsky, s’étendait de l’océan indien à l’Australie) ont été réinterprétées dans le cadre des « enquêtes » ou des constructions fantaisistes sur les extraterrestres, souvent agrémentées de délires sur les « reptiliens
59 ».
Prenons l’exemple de la « théorie glaciale » (« théorie du monde glacé » ou « doctrine de la glace éternelle »
60, cosmologie et cosmogonie « alternatives » dont les principes furent exposés par Hanns Hörbiger et Philipp Fauth en 1913 dans un ouvrage intitulé
Glazial-Kosmogonie61. Les thèses de Hanns Hörbiger (1860-1931), appelé par Hitler « le Copernic allemand
62 », ont été reprises notamment par Hans Schindler Bellamy en Angleterre
63 et, en France, par Denis Saurat dans son essai paru en 1954,
L’Atlantide et le Règne des géants64. Chez ces spécialistes des « théories catastrophistes », parmi lesquels on peut aussi compter Immanuel Velikovsky depuis les années 1950
65, les raisonnements scientifiques sont inextricablement mêlés aux « révélations » dues à des récits mythiques, portant par exemple sur l’Atlantide ou sur d’anciennes « races de géants », souvent assimilées à des variétés d’extraterrestres ayant jadis visité la Terre avec la mission d’influer sur le cours de l’histoire humaine (« théorie des Anciens Astronautes », reprise notamment par Robert
Charroux et Erich von Däniken). Robert Charroux n’a pas manqué d’exposer, sans commentaire critique, certains aspects des théories de Hörbiger, pour qui « le Cosmos est régi par une lutte incessante entre le froid et le chaud, entre la glace et le soleil » : << L’Homme est associé intimement à l’évolution de la nature et, selon l’influence lunaire, subit des mutations désordonnées. Tantôt il est atteint de gigantisme (quand la Lune proche exerce une attraction redoublée), tantôt il est écrasé par une pesanteur de plomb. Selon ces données, notre humanité issue de géants blonds, à la belle peau blanchie dans l’aura des glaces éternelles, ressuscite le vieux mythe ancestral du pays hyperboréen, de ses hommes supérieurs et de ses ravissantes femmes pythonisses. Une telle hypothèse était bien faite pour séduire Adolf Hitler qui avait besoin, pour refaire le globe, d’une nouvelle mythologie
66. »
Les ouvrages de Robert Charroux ont été intégrés dans le Panthéon des références du New Age, comme le rappelle cet hommage au « Maître » diffusé en 2005 sur le site Web d’une association d’adeptes de « l’ère du Verseau » :
« Robert Charroux rechercha durant toute sa vie “la vérité” et, même s’il ne l’a pas formellement trouvée, il s’en est suffisamment approché pour que les Hommes du Verseau utilisent les résultats de ses recherches […] pour commencer l’édification du nouveau sanctuaire – entendre, nouvelle civilisation. Indéniablement, l’homme qui est à la fois chercheur, historien, philosophe, refuse de croire bête-ment l’histoire ou la science officielle, celle qu’on raconte dans les manuels scolaires, les lycées, les collèges, les universités. […] Durant toute son existence, Charroux a combattu les versions officielles, que ce soit vis-à-vis de l’homme des cavernes, de la découverte de l’Amérique ou autres [
sic]. Pour lui, sans dire pourquoi, les pouvoirs mentent et camouflent la véritable histoire humaine ou, peut-être, les véritables histoires, car il est plus que vraisemblable qu’il y a eu de nombreuses civilisations et aussi de nombreuses destructions, que ce soit par déluges naturels ou guerres. […] Ceux à qui on a caché la réalité, tels des enfants qui grandissent, ont soif de la connaître
67. »
L’autoprésentation des animateurs du site montre la centra-lité du couple formé par l’ « alter » (quête d’une science autre que la « science officielle ») et le nouveau (« nouvelle civilisation », « nouvelle philosophie »), dans un grand récit incluant les légendes, prises au sérieux, sur les « civilisations disparues » (avec ou sans extraterrestres) : « ERA-NEW est la graine d’une philosophie ou d’un parti politique qui refuse de croire l’histoire officielle. Pour nous, elle masque la réalité, c’est-à-dire que des civilisations identiques ou supérieures à celle d’aujourd’hui ont déjà existé. » Le même site New Age à la française diffuse des articles consacrés respectivement à Nietzsche, à Rennes-le-Château, au
Livre jaune (présenté comme un « curieux livre ») et à la question du sida (abordée sous l’angle du complot criminel). La mythologisation des origines et des modes de transmission du virus du sida
68 s’est constituée en un nouveau thème, inépuisable, du discours complotiste : à travers la dénonciation litanique
du « lobby biomédical » et du « lobby pharmaceutique » (ou de « l’industrie pharmaceutique »), diabolisés sur le modèle du « lobby militaro-industriel »
69, de nouveaux imprécateurs appellent à rejeter vaccins et médicaments, qui « empoisonneraient » l’espèce humaine. Les tenants des « médecines naturelles » et de toutes les formes de « naturopathie » ne peuvent que se réjouir de cette grande mise en accusation. Les interprétations complotistes varient selon les engagements idéologiques des auteurs. Pour les uns, le virus du sida, fabriqué expérimentalement et transmis volontairement à travers des campagnes de vaccination obligatoire, est d’abord un moyen de « réduire la population mondiale » (Holey), de réaliser donc l’un des objectifs attribués par leurs ennemis aux « mondialistes » supposés intrinsèquement néo-malthusiens. Pour certains théoriciens complotistes des milieux homosexuels anglo-saxons, la transmission orchestrée du virus du sida ferait partie d’un programme d’extermination des « gays »
70, alors que pour les nationalistes négro-américains, elle constituerait l’instrument privilégié d’un génocide des Noirs
71. L’action politique prônée par ces milieux militants est d’abord le boycottage des campagnes de vaccination, ensuite la dénonciation et le harcèlement des divers « lobbies » diabolisés, à commencer par celui des firmes pharmaceutiques. Mais aussi l’appel à tourner le dos à la modernité techno-scientifique pour redécouvrir les bienfaits des « médecines douces », de la « naturothérapie », de l’acupuncture, du yoga, de la relaxation, du végétarisme, de l’agriculture biologique, et, pourquoi pas, du magnétisme et de l’hypnose
72. Il n’est pas exagéré de voir dans le
« planétisme » des années soixante une première synthèse de ces rejets, de ces aspirations et de ces illusions.
Cet épisode de l’histoire contemporaine de la culture de masse, nouvelle vague de vulgarisation des thèmes occultistes
73 aussi caractéristique des années 1960 et 1970 que l’émergence du New Age, célébré par ses apologètes comme un « nouveau paradigme », nous intéresse particulièrement en ce qu’il s’est traduit par la diffusion d’une vulgate faite de néo-paganisme et d’occultisme (sans oublier les « médecines douces » et le yoga), mais aussi de représentations conspirationnistes. Si le « planétisme » de Pauwels/Bergier recoupe largement, dans ses thèmes, l’attirail ésotéro-thérapeutique du New Age, il en diffère au moins à deux égards : d’abord, par son insistance classiquement conspirationniste sur le rôle des « sociétés secrètes » dans l’Histoire, ensuite par la fascination qu’il entretient pour tout ce qui tourne autour du nazisme. Rien de tel dans le mouvement New Age, qui peut être vu comme le mouvement mondial ayant succédé à celui de la « contre-culture » des années 1960, lui empruntant les projets jumelés d’une transformation personnelle et d’une transformation culturelle, à l’écart du militantisme politique traditionnel
74. L’enquête empathique sur le mouvement New Age, réalisée par la journaliste américaine Marilyn Ferguson entre 1976 et 1979, fut publiée au début de 1980 sous le titre
The Aquarian Conspiracy (« La Conspiration du Verseau »), avec le sous-titre : « Personal and Social Transformation in Our Time ». L’ouvrage fut traduit dès l’année suivante en
français, avec un sous-titre plus abstrait : « Pour un nouveau paradigme
75 ». Le mot « conspiration », précise la journaliste dans l’introduction du livre, est ici dépourvu de connotation négative, et doit être pris comme une métaphore pour signifier l’« union », l’aspiration commune, le « souffler ensemble » (sens littéral de « conspirer »), comme le suggérait Pierre Teilhard de Chardin recommandant une « conspiration d’amour
76 ». Il s’agit donc d’une « douce conspiration
77 » : respirer et aspirer ensemble, d’un seul souffle. Quant au recours au mot « Verseau », il est ainsi justifié : « Malgré mon ignorance de l’astrologie, j’étais attirée par le pouvoir symbolique de ce rêve pénétrant de notre culture populaire, à savoir qu’après un âge d’obscurité et de violence – les Poissons – nous pénétrons dans un millénium d’amour et de lumière, “l’Ère du Verseau”, le temps de “la vraie libération de l’esprit”
78. » L’attaque contre le christianisme (ou le « judéo-christianisme ») fait partie de la célébration de l’entrée dans l’ère du Verseau, censée succéder à l’ère des Poissons, dominée par le christianisme. La « Conspiration du Verseau » désigne donc l’ensemble des groupes portés par la même conviction : « Nous sommes au cœur d’une grande transformation
79… » L’Amérique est présentée et célébrée comme « la matrice de la transformation
80 ». La « Conspiration du Verseau » est un « puissant réseau
81 » qui présente deux caractéristiques : il est « dépourvu de dirigeants » et il est dénué de « doctrine politique
82 », ce qui l’oppose nettement à toute conspiration organisée par une société secrète, aux noirs desseins. L’un des meilleurs spécialistes des « nouveaux mouvements religieux », Wouter J. Hanegraaff, a interprété le New
Age comme le fruit d’une sécularisation de l’ésotérisme occidental, le produit d’une formation de compromis entre certaines des exigences ou des promesses de la science moderne (par exemple l’allongement de la vie humaine) et divers emprunts aux traditions ésotériques
83.
Dans les milieux catholiques, on tend à réduire le New Age à une nouvelle manifestation de « néo-gnosticisme », ce qui relève d’une tradition polémique qui s’est constituée contre les hérésies, les « sociétés secrètes » (dont la franc-maçonnerie)
84 ou la Théosophie (au sens restreint du terme, désignant l’école fondée par Mme Blavatsky), plutôt que d’une approche sociologique
85. « Gnose » peut-être, en forçant le trait et en surestimant l’aspect doctrinal, mais que faire des très prosaïques « bonnes vibrations », des pratiques infantiles de «
channeling » et de la quête à tout prix d’une « santé » sacralisée par les seules « médecines douces » et quelques rituels magiques ? Il reste que la critique catholique, en dépit de son caractère défensif et d’une certaine mauvaise foi, n’est pas dénuée de lucidité. On lit par exemple, dans un document sur le « Nouvel Âge » diffusé en 1993 par le Vatican, cette caractérisation suggestive de « la matrice principale de la pensée Nouvel Âge » :
« La matrice essentielle de la pensée
Nouvel Âge réside dans la tradition ésotérico-théosophique, une tradition qui était largement répandue dans les cercles intellectuels européens au XVIII
e et au XIX
e siècle. On la retrouve en particulier dans la franc-maçonnerie, le spiritisme, l’occultisme et la théosophie, qui avaient en commun une sorte de culture ésotérique. Dans cette vision du monde, les univers visible et invisible sont reliés entre eux par une série de correspondances, analogies et influences, entre le microcosme et le macrocosme, entre les métaux et les planètes, entre les planètes et les différentes parties du corps humain, entre le cosmos visible et les règnes invisibles de la réalité. La Nature est un être vivant, parcouru par des influx de sympathie et d’antipathie et animé par un feu secret que les êtres humains cherchent à maîtriser. Les hommes peuvent entrer en contact avec les mondes supérieurs ou inférieurs par l’imagination (un organe de l’âme et de l’esprit), ou à travers des médiateurs (anges, esprits, démons) ou des rituels. Il est possible de s’initier aux mystères du cosmos, de Dieu et du moi à travers un parcours spirituel de transformation. Mais le vrai but est la
gnose, la forme la plus haute du savoir, l’équivalent du salut, qui demande une recherche des traditions les plus antiques et les plus élevées de la philosophie (appelée de façon incorrecte
philosophia perennis) et de la religion (théologie primordiale), et une doctrine secrète (ésotérique) contenant la clé de toutes les traditions « exotériques » accessibles à tous. Les enseignements ésotériques sont transmis de maître à disciple suivant un programme d’initiation progressif
86. »
Rien n’est faux dans cette description, mais elle ne va pas à l’essentiel. C’est le sociologue et historien Massimo Introvigne qui a caractérisé avec le plus de justesse la spécificité de « l’esprit » du New Age, en le résumant par la formule « oui au sacré, non à la religion », la quête extra-religieuse du sacré s’opérant par des voies rejetées depuis longtemps par l’Église, telles que le chamanisme, la magie, la recherche d’états de conscience altérés (y compris par l’usage de drogues) ou le retour à la « religiosité cosmique
87 ».
À la bonne ou douce « Conspiration du Verseau » visant à universaliser la paix et l’amour à travers la multiplication des communautés « libérées » s’opposent les sataniques « conspirations » des « sociétés secrètes », ordonnées à des projets de domination ou de destruction. Fictives ou non,
ces « sociétés secrètes » font l’objet de fixations imaginaires et d’un travail permanent de réinvention, d’une mythologisation toujours recommencée. Cette dernière peut se pratiquer indépendamment de toute vision du complot et sans la moindre trace d’antisémitisme. Mais elle implique souvent le réinvestissement de représentations antijuives et antimaçonniques, comme c’est le cas pour la figure des «
Illuminati », personnages mythiques, an-historiques, créés par bricolage symbolique à partir de l’Ordre des « Illuminés de Bavière »
88. Un terme tel que «
Illuminati », dont la signification reste indéterminée, est donc librement ou arbitrairement déterminable. La multiplicité de ses possibles interprétations facilite son passage incessant du discours référentiel (renvoi à un événement historique défini) au discours fictionnel. Il convient à ce point d’introduire une distinction, dans la littérature « populaire », entre les essais « historiques » et les romans, ou plus précisément les thrillers, ces derniers solliciteraient-ils les faits historiques. D’une part, on observe le succès jamais démenti de multiples essais « grand public » relevant d’une histoire « alternative », offrant au lecteur d’excitantes « révélations » sur de terrifiants « secrets » qu’on dit « perdus » ou « jalousement gardés ». Ou de saisissants aperçus sur la « face cachée de l’Histoire ». Dans le même genre, il faut mentionner les nombreux essais d’archéologie « alternative » qui se proposent de passer en revue « de nombreux faits troublants et toujours inexpliqués par l’archéologie officielle »
89 . L’argument de vente est toujours le même : « En marge de l’archéologie conventionnelle,
L’Archéologie interdite nous convie à une passionnante exploration des grandes énigmes de la civilisation
90. » Il n’est pas possible, dans le cadre du présent ouvrage, de commencer seulement à explorer l’immense littérature sur « l’Égypte mystérieuse » et le « mystère des Pyramides » (de la fiction aux
essais relevant d’une « égyptologie » pseudo-scientifique), qui constitue un objet d’études à elle seule. Les publications de Christian Jacq, qui se présente comme égyptologue et romancier, et qui est l’auteur célèbre de nombreux best-sellers, illustrent cette production de textes répondant à un engouement du grand public pour les « messages » de l’Égypte pharaonique, pour le « secret de la grande pyramide », pour d’autres « secrets » et « trésors », etc. Robert Charroux avait, en langue française, frayé la voie
91. Dans un essai relevant de la catégorie « Spiritualité »,
Pouvoir et sagesse selon l’Égypte ancienne (1981), Christian Jacq n’hésite pas à énoncer, dès la première page : « Grâce à l’Égypte, le mystère de la vie se révèle dans toute sa plénitude, il est à la portée de notre regard. Les portes des temples peuvent s’ouvrir devant notre désir de connaissance, les sombres naos rayonnant d’une lumière interne prennent toute leur signification pour qui souhaite faire de sa vie une architecture sacrée
92. » Dans la littérature parapsychologique, comme dans certaines traditions ésotériques, on attribue aux pyramides des « propriétés énergétiques extraordinaires » : la forme pyramidale comme telle aurait des « effets énergétiques dus aux ondes de forme
93 ».
Depuis les années 1960, la production de ces textes, offerts en langue française sous le label « Les énigmes de l’univers » ou « Les portes de l’étrange » (aux éditions Robert Laffont), « Univers secrets » (Bibliothèque Marabout, Verviers [Belgique]) ou encore « L’aventure mystérieuse du cosmos et des civilisations disparues » et « Aventure secrète » (aux éditions J’ai Lu
94, a rencontré un vaste public de lecteurs. Mais, d’autre part, on ne peut qu’être
frappé par l’engouement contemporain pour les romans à thèmes ésotérico-religieux ou théologiques, romans d’aventures mêlant l’histoire et la fiction, s’inspirant autant du roman à épreuves que du roman noir, et recourant, à l’instar du roman policier ou d’espionnage, au suspense et au frisson, voire à la production de terreur ou d’épouvante. Ce que le récit met en lumière tout en le dissimulant, c’est un ensemble d’activités occultes de groupes ou de réseaux qui mettent en danger la vie d’autres groupes humains, voire l’humanité tout entière. Ce qui retient particulièrement l’attention de l’historien ou de l’ethnographe du présent, c’est l’irruption massive dans le genre romanesque, depuis les années 1980, des « sociétés secrètes » et des complots (dont dérivent d’inévitables assassinats mystérieux), avec des intrigues que compliquent des références érudites (ou pseudo-érudites) et des interprétations symboliques, impliquant de la part du lecteur – informé en même temps que désinformé – un incessant travail de décodage, voire de décryptage. Le lecteur est invité à participer au grand travail de dépistage, de décryptage et de démystification dont le thriller fournit les outils nécessaires et les indices requis.
Introduisant un dossier sur « le thriller », en 1991, dans la revue
Polar, Jean-Pierre Deloux proposait cette « esquisse d’une tentative de définition » qui semble n’avoir pris aucune ride une quinzaine d’années plus tard, au moment où les romans de Dan Brown, « thrillers théologiques », sont devenus des best-sellers internationaux :
« Il y a une volonté délibérée de la part des éditeurs et des auteurs d’en donner plus au lecteur, de le sidérer, de l’entraîner dans un univers apparemment semblable au nôtre à la recherche d’une autre réalité, invisible au commun des mortels ; pour lui faire découvrir ce qui régit véritablement notre monde : les gouvernants invisibles, les sociétés secrètes, les services et agences de renseignements connus ou inconnus. Cette découverte de la face cachée de l’histoire contemporaine dépasse le récit d’aventures ou le roman d’espionnage ordinaire pour tendre à une quête initiatique permettant la découverte d’un secret. D’une certaine façon, l’univers impitoyable (!), outrancier et souvent paranoïaque du thriller déchiffre et décode la réalité de la même manière que le firent, en leur temps, les auteurs du
Matin des magiciens et les tenants du réalisme fantastique
95. »
Le thriller ne peut exercer son pouvoir « de mythification et de mystification » qu’à la condition de paraître se référer à des événements historiques ou à des « faits divers », dont il prétend révéler l’envers caché. L’effet de vraisemblance est la condition de l’efficacité symbolique, même lorsque les faits allégués sont hautement invraisemblables. Que le thriller puisse fonctionner comme le simulacre d’un roman historique, c’est ce que suggère encore Jean-Pierre Deloux, pointant notamment l’effacement de la frontière entre le factuel et le fictif en de tels récits :
« Il y a, même au cœur des plus extravagants et incroyables récits, une volonté de s’appuyer sur un semblant de réalité, sur des sources en partie et parfois totalement authentiques, d’utiliser l’actualité aussi bien que des données historiques bien réelles ou en partie controversables. Paradoxalement, ce genre où l’imagination est reine, recherche sa justification et son impact dans une volonté de coller à la réalité, de déchirer le voile des apparences, de démythifier les valeurs apparentes de nos sociétés pour démystifier le lecteur. Le thriller recherche avant tout la crédibilité en s’appuyant sur des faits authentiques ou qui pourraient bien l’être. Il parvient à ses fins quand le lecteur, travaillé au corps et à demi assommé par le généralement énorme pavé qu’il vient d’ingurgiter, finit par baisser les bras en murmurant, à bout de souffle et d’esprit critique : “Et si c’était vrai…”
96 »
L’Illuminisme ludique : INWO, un jeu vidéo pour initiés
À la fin des années 1970, les «
Illuminati » étaient entrés dans le vocabulaire des lecteurs du roman touffu et baroque de Robert Shea et Robert Anton Wilson,
Illuminatus ! Trilogy, publié en 1975
97. Au cercle de ces lecteurs, il faut ajouter tous les adeptes du New Age qui étaient immanquablement tombés sur tel ou tel texte inspiré et provocateur de Robert Anton Wilson. Dans l’édition de poche américaine de 1988, il est précisé que la trilogie (805 p.) s’est vendue à plus de 100 000 exemplaires. Ce roman est présenté comme un « classique » par les membres de « l’Église discordienne » ou les croyants du « Discordianisme » (fondé notamment par Kerry Thornley, célèbre pour avoir été accusé de complicité dans l’assassinat de John F. Kennedy), « religion désorganisée » dont Robert Anton Wilson, le plus célèbre de ses promoteurs, affirme qu’elle n’est pas un canular déguisé en religion, mais une religion déguisée en canular. Cette théorie fumeuse est développée avec l’humour requis par Wilson
98, qui en donne cette définition : « Le discordianisme prétend constituer la première
vraie religion vraie du monde et être fondée sur le culte d’Eris, déesse du Chaos
99. » Le texte sacré de « l’Église discordienne » est le texte intitulé
Principia Discordia, or How I Found Goddess and What I Did to Her After I Found Her (« Principia Discordia, ou Comment
j’ai trouvé la déesse et ce que je lui ai fait quand je l’ai trouvée »). Il est signé « Malaclypse le Jeune », pseudonyme de Greg Hill. Sa thèse fondamentale est que le « Saint Chaos » (
Sacred Chao), symbole sacré de la « Société discordienne », constitue la nature du réel. Wilson présente les
Principa Discordia, dans son lexique, comme « the official Holy Book of the Discordian Society
100 ». Les « discordiens » adorent la déesse grecque Eris, princesse du chaos, de la discorde et de la confusion, connue pour avoir exhibé la pomme d’or destinée « à la plus belle », ce qui a semé la zizanie entre les trois principales déesses de l’Olympe et déclenché la guerre de Troie. Kerry Thornley (sous le nom de Ho Chih Zen) a également fondé le Front de libération érisien (
Erisian Liberation Front). La technique privilégiée par cette « religion canular » est la « guérilla ontologique », laquelle consiste, selon Wilson s’inspirant à la fois du Zen et de la sémantique générale (d’Alfred Korzybski), à mêler subtilement le vrai et le faux pour forcer les gens à penser par eux-mêmes
101. Mais ce qui a frappé plus particulièrement les esprits, dans l’espace culturel anglo-saxon, c’est le monde des «
Illuminati » et autres conspirateurs, membres de « sociétés secrètes », ce monde fantastique imaginé par Wilson dans son roman et dans d’autres textes publiés ultérieurement
102.
Au début des années 1980, la vision d’une conspiration mondiale attribuée à un réseau d’organisations secrètes
plus ou moins criminelles s’était inscrite dans la culture médiatique américaine à un point tel qu’un célèbre inventeur de jeux vidéo, Steve Jackson, a pu créer un jeu de rôles intitulé
INWO (
Illuminati – New World Order), qui a rencontré un succès immédiat, et immense
103. Le but du jeu est, pour chaque joueur, la prise de contrôle du monde. Est-il besoin de souligner l’évidence que la puissance de contagion culturelle d’un jeu vidéo célèbre est, dans le monde des adolescents et des 18-35 ans, très supérieure à celle d’un livre ou même d’un film? Sur un site Web spécialisé en jeux vidéo, on pouvait lire, fin juin 2005 :
« Steve Jackson est un créateur de jeux très prolifique […]. [Il] a créé, participé à la création ou édité un bon nombre de jeux mythiques qui, pour la plupart, ont en commun un certain cynisme. Citons en premier le
Killer, jeu d’assassinat en grandeur nature, qu’il n’a pas vraiment inventé (ça se pratiquait sur les campus américains depuis les années 70) mais formalisé : règles, accessoires, variantes, options…
Illuminati est un jeu de plateau où chacun est une société secrète (Illuminés de Bavière, Ovnis, Secte de Cthulhu…) qui tente de prendre le contrôle de groupes de pression (Mafia, Parents d’élèves, Motards, Compagnies pétrolières…). Cynique à souhait, le jeu encourage la trahison, le vol ou le meurtre de groupes de pression, et même la triche (c’est la première règle optionnelle !). Un grand moment de bonheur
104. »
Dans
Anges et Démons, Dan Brown cite le jeu
Illuminati en passant, comme s’il désirait mentionner l’une de ses « sources » :
« Secte satanique. Vittoria entendit l’expression mais sans parvenir à la comprendre.
– Le groupe qui a revendiqué le meurtre s’appelle les Illuminati.
Vittoria regarda Kohler puis Langdon et se demanda s’il s’agissait d’une sorte de canular particulièrement cruel.
– Les Illuminati ? Vous voulez dire comme les Illuminati de Bavière ?
Stupéfait, Kohler demanda :
– Vous avez entendu parler d’eux?
Vittoria sentit des larmes de frustration prêtes à couler. Les Illuminati de Bavière : le Nouvel Ordre mondial…
– Le jeu de Steve Jackson ? La moitié des mordus d’ici y jouent, sur Internet.
Sa voix se mit à trembler.
– Mais je ne vois pas…
Kohler jeta un regard confus à Langdon. Celui-ci hocha la tête.
– Un jeu très populaire. Une ancienne confrérie prend le contrôle de la planète. Semi-historique. […]
Vittoria était abasourdie.
– Mais de quoi parlez-vous ? Les Illuminati ? C’est un jeu vidéo !
– Vittoria, rétorqua Kohler, il s’agit du groupe qui a revendiqué l’assassinat de votre père
105 ! »
Steve Jackson, dans son jeu, a su exploiter l’imaginaire conspirationniste près de vingt ans avant Dan Brown. Son jeu peut être décrit comme une « sorte de Monopoly ésotérique et conspirationniste
106 » qui a effectivement « lancé la mode des
Illuminati sur les campus américains
107 ». À vrai dire, dans le jeu, les
Illuminés de Bavière ne représentent que l’une des huit sociétés secrètes aussi puissantes que redoutables qui se disputent le pouvoir depuis des
siècles, les sept autres étant : les
Gnomes de Zurich108, les
ovnis109, le
Réseau110, la
Secte des Assassins111, les
Servants de Cthulhu 112, la
Société de Discorde113 et le
Triangle des Bermudes114. Ces groupes de conspirateurs de divers types
sont eux-mêmes des Illuminés ou des marionnettes que manipulent les
Illuminati. On retrouve donc dans ce jeu le mythe moderne des Supérieurs inconnus censés organiser des bouleversements planétaires de tous ordres en vue d’un objectif final : la mise en place du Nouvel Ordre mondial, dont ils seraient les maîtres inconditionnels. Les autres cartes du jeu sont les groupes, qui représentent différents lobbies, groupes de pressions ou organisations activistes (Mafia, CIA, KGB, KKK, Yuppies, Moonistes, Boys Scouts, Constructeurs d’automobiles, etc.), chacun étant identifié par quatre critères : orientation, pouvoir, résistance et revenu. Un amateur et commentateur maladroit décrit ainsi le jeu :
«
Illuminati propose aux joueurs de justifier la psychose [
sic] célèbre : « on nous manipule tous » en incarnant un groupe d’Illuminés qui prend secrètement le contrôle des institutions, groupes de pressions et activistes en tout genre du pays (les États-Unis). Pour ce faire, les Illuminés sont au sommet d’une structure de pouvoir pyramidale où les groupes contrôlent d’autres groupes tout en étant contrôlés directement ou indirectement par le groupe d’Illuminés : ainsi verra-t-on le groupe d’Illuminés le
Triangle des Bermudes contrôler les Constructeurs Automobiles qui contrôlent les petits commerces qui contrôlent la CIA qui contrôlent les Clubs d’aquariophiles
115. »
Autre exemple de situation simple où n’apparaissent que des groupes : « Le KKK, aidé de la CIA, tente de prendre le contrôle de Yuppies. » Une partie d’
Illuminati peut déboucher sur une situation cocasse du type : « Les
Gnomes de Zurich contrôlent les Moonistes qui contrôlent le KGB qui contrôle les Boys Scouts et les Punk Rockers, tandis que le
Réseau contrôle le Pentagone qui, lui-même, contrôle les Hédonistes Californiens et les Magasins Diététiques. »
L’objectif du joueur en possession de certaines cartes maîtresses est d’arriver, à travers de subtiles alliances et conspirations, à prendre le contrôle d’autres groupes jusqu’à pouvoir, une fois parvenu au sommet de la pyramide, gouverner enfin le monde. Prenons la définition, donnée par les concepteurs du jeu, de la carte des Illuminés de Bavière, sans conteste la plus puissante :
« Jadis connus comme “les anciens prophètes illuminés de Bavière”, ils sont les Illuminati originaux. Plusieurs les considèrent comme le prototype de toutes les sociétés secrètes. Ils ont été inculpés à trois reprises par l’Inquisition espagnole, mais leur vœu de silence leur a toujours permis de s’en sortir. Les Illuminati de Bavière auraient infiltré les francs-maçons en 1776 et tenté de prendre le contrôle de cette organisation de l’intérieur. »
Les « Bavarois » sont donc les
Illuminati au sens restreint du terme. Quant à leur aptitude et à leurs objectifs, on est fixé : « L’objectif des
Illuminati de Bavière repose sur le pouvoir pur. […] Plus subtils que les autres
Illuminati, ils peuvent utiliser leur aptitude spéciale pour lancer une attaque privilégiée par tour […]. » Les concepteurs du jeu continuent par ces conseils aux joueurs désireux de jouer confortablement les Illuminés de Bavière ou de prendre le risque de les combattre :
« Comment jouer les Bavarois : Vous avez le pouvoir le plus élevé, un bon revenu et une aptitude spéciale contre laquelle il est difficile de se défendre. N’oubliez pas votre aptitude spéciale et utilisez-la ! De plus, votre objectif spécial est directement relié au pouvoir de votre structure de pouvoir. Chaque fois que vous améliorez votre situation durant la partie, vous vous rapprochez automatiquement de votre objectif spécial ! Votre stratégie de choix est de jouer fermement mais prudemment. Ne faites pas de vagues et ne vous créez pas d’ennemis. Si vos adversaires se liguent contre vous, ils peuvent vous détruire. S’ils vous laissent tranquille, vous pourrez fort probablement vous avancer discrètement vers la victoire (ou la saisir d’un seul coup, par exemple en vous emparant de l’une des branches d’un autre Illuminati dont l’ensemble des groupes vous donnerait le pouvoir nécessaire à l’atteinte de votre objectif). Les marionnettes idéales pour les Bavarois sont les groupes à grand pouvoir : la Mafia, la conspiration communiste internationale, etc.
Comment combattre les Bavarois : Bonne chance ! Les Illuminati de Bavière n’ont pas de point faible particulier. Votre meilleure chance consiste à les surveiller de près et à profiter de la peur que leurs pouvoir et aptitude font naître chez les autres Illuminati. Unis, vous pourrez peut-être détruire les Bavarois ou, à tout le moins, les rendre assez faibles pour les empêcher de gagner. »
Puissants, les Bavarois ne sont pas toujours les plus dangereux ni les plus subtils. Il faut prendre garde à la
Secte des Assassins. Dans
Anges & Démons de Dan Brown, le rôle du méchant tueur est endossé par un « Arabe », un descendant des « hachichins » (littéralement, les adeptes du haschisch, secte druze du Moyen Âge). Il en va de même dans le jeu vidéo de Steve Jackson, où la
Secte des Assassins est ainsi caractérisée :
« Originaires du Moyen-Orient, les Assassins formaient une société secrète issue de la secte ismaélite des musulmans. Bien qu’ils aient atteint le sommet de leur pouvoir durant le Moyen Âge, ils sont toujours actifs aujourd’hui. Ils n’ont pas toujours besoin de passer aux actes… Une simple indication de leur déplaisir est souvent suffisante pour intimider leurs adversaires. L’avertissement traditionnel des Assassins, un poignard laissé sur l’oreiller d’un rival, a fait trembler des rois. »
Quant aux
Gnomes de Zurich, on se doutait de leur identité répulsive : « Il s’agit de l’ancien surnom donné aux banquiers suisses qu’on dit être les maîtres financiers du monde. Non seulement disposent-ils de capitaux impressionnants… Mais ils peuvent effectuer leurs transactions aisément et rapidement. Ils touchent également une part de toute affaire lucrative. » Toutes les « sociétés secrètes » jusqu’ici mentionnées sont construites par bricolage intellectuel sur la base de réalités sociohistoriques : il s’agit de groupes de divers types, reconstruits comme des figures mythiques. Dans les trois derniers cas (
Triangle des Bermudes,
Société Discordante,
Servants de Cthulhu), la mythologisation se déploie sans support empirique, selon un ordre d’abstraction fictionnelle croissant. Si le
Triangle des Bermudes n’existe pas réellement en tant que groupe humain, il constitue cependant un lieu géographique doté d’une forte valeur symbolique pour certains. Inversement, si la
Société Discordante peut renvoyer indirectement à la « société » des amis ou à celle des admirateurs de Robert Anton Wilson, son statut de « société secrète » relève de la pure fiction. Quant aux
Servants de Cthulhu, extraits pour l’occasion vidéoludique du monde surnaturel de Lovecraft, ils ressemblent beaucoup à des magiciens, des Alchimistes ou des maîtres en « sciences occultes », mais restent parfaitement fictifs. Non sans humour, les concepteurs du jeu caractérisent ainsi ces trois figures d’
Illuminati au sens large du terme :
« Le Triangle des Bermudes
Couler des bateaux n’est qu’un passe-temps pour ces gens-là. Leur philosophie consiste à prendre le contrôle de différents types de groupes. Ils s’entourent de mystère et inspirent tant de frayeur que quelqu’un d’autre finit toujours par être blâmé pour les événements inexplicables qui ont lieu près de leur quartier général, à quelque distance des côtes de la Floride. […]
La Société Discordante
Fidèles d’Eris, la déesse romaine de la discorde et du chaos, les membres de la Société Discordante se complaisent dans la confusion. Les Discordants cherchent à unir sous leur bannière tous les éléments étranges et marginaux de la société, et adorent perturber les « conformistes » qui les entourent. […]
Les Servants de Cthulhu
Ce sont ceux qui étudient les secrets que l’humanité ne devait jamais connaître. Ils cherchent à maîtriser des pouvoirs ésotériques et des forces surnaturelles, risquant leur vie et leur âme dans la poursuite de leur quête. […] Les Servants de Cthulhu visent la destruction, et ils y excellent […]. »
Il reste aux joueurs à se montrer aussi subtils qu’impitoyables, aussi rusés que cyniques dans leurs actions stratégiques. Il y a dans ce type de jeu à la fois l’expression ou la traduction d’un système de croyances et d’aspirations largement partagées par nos contemporains, et un mode d’endoctrinement que ne suffit pas à neutraliser la distance ironique ou satirique prise par les concepteurs. Telle ou telle configuration particulière de l’imaginaire social est ainsi reflétée, entretenue et réactivée par le jeu vidéo. Ritualisée et ainsi transformée en évidence indubitable. Dans le cas d’INWO, mêlant la légende des Illuminati au mythe du complot mondialiste, l’enjeu est considérable et dicte le principe normatif unique : la fin justifie les moyens. Devenir les Maîtres du monde, telle est la question. La seule question. Telle est aussi la morale de l’histoire racontée par le jeu.
1 Voir Introvigne, 1993 ; Poulat, 1994 ; Hervieu-Léger, 1999 ; Laurant, 2001, pp. 185
sq. ; Lenoir, 2004 et 2005.
4 Maître, 1981, cité par Michelat,
ibid.
5 Adorno
et al., 1950; Billig, 1984, pp. 453-467.
6 Adorno
et al., 1950, vol. I, p. 288 ; Adorno, 1973, p. 45. Voir aussi Eysenck, 1956, pp. 195-196.
7 Exemple : « On peut prouver que l’astrologie explique une foule de choses bien que beaucoup de gens s’en moquent. »
8 Exemple : « Si vous voulez regarder au fond des choses, vous verrez que l’homme n’agit jamais qu’en vue de son propre intérêt. »
9 Exemple : « Nos vies sont à la merci des complots que les politiciens ourdissent en secret bien plus que la plupart d’entre nous ne le croient. »
10 Exemple : « Les orgies sexuelles des Anciens Grecs et Romains ne sont que des jeux d’enfants à l’égard de ce qui se passe de nos jours et même dans des milieux auxquels on penserait le moins. » Pour une illustration caricaturale de ces deux dernières attitudes interprétatives, voir les écrits de Fritz Springmeier, 1995, 1996, 1998, et
infra, chap. VII.
11 Frenkel-Brunswik
et al., 1965 (1947). Pour une présentation des travaux américains de l’équipe d’Adorno sur la « personnalité autoritaire », voir Jay, 1977, en partic. pp. 274-286.
12 Voir Eysenck, 1956, pp. 200-202 ; Billig, 1984, pp. 462-463.
13 Rokeach, 1971 (1954), et 1960.
15 En 1956, Rokeach a construit une échelle visant à mesurer le dogmatisme, l’échelle D. Contrairement à ce qu’attendait Rokeach, les travaux menés sur la base de l’échelle D ont établi que les scores élevés sur cette échelle étaient liés à des attitudes conservatrices (Billig, 1984). Le dogmatisme mesuré était en réalité le dogmatisme de droite (droite conservatrice et non pas libérale). Ou bien l’échelle D devait être révisée, ou bien l’on jugeait qu’elle permettait d’établir des résultats intéressants, bien que non prévus.
16 Voir Sgro/Guimond, 2004.
17 Palmer/Kalin, 1991, et Sgro/Guimond, 2004, pp. 78-79.
18 Sgro et Guimond (2004, p. 77) notent justement qu’à l’instar de l’échelle d’autoritarisme d’Adorno (échelle F), que Rokeach avait « critiquée comme ne permettant d’identifier et d’étudier que l’autoritarisme de droite, l’échelle D semble mesurer non pas le dogmatisme en soi mais le dogmatisme de droite ».
19 Sgro/Guimond, 2004, pp. 84-85.
20 Voir notamment Billig, 1976 ; Deconchy, 1984.
21 Pour un exposé synthétique des critiques faites à l’approche « dispositionnaliste », voir Taguieff, 1997, pp. 85-88, et 1998, pp. 95-101.
23 Pettigrew, 1979. Voir aussi Billig, 1984, pp. 463-465.
24 Voir
infra, chap. VIII.
25 Michelat, 2003, p. 113.
26 Michelat, 2003, pp. 112-113.
27 Voir Mayer (Nonna), 2002.
28 Le roman épique de Tolkien s’est vendu à plus de cinquante millions d’exemplaires. Il est devenu « le livre le plus populaire du XX
e siècle » (Bruner/Ware, 2005, p. 8). La trilogie de Tolkien (Tolkien, 2000), portée à l’écran par New Line Cinema et réalisée par Peter Jackson, a également rencontré un immense succès en salles.
30 Champion, 1989 et 1998
31 Champion, 1993, p. 750.
32 Rappelons que, par le mot « spiritisme », on désigne à la fois un mouvement (le mouvement spirite) qui émerge vers le milieu du XIX
e siècle aux États-Unis (les sœurs Fox) et en France (Allan Kardec), une doctrine (celle de l’existence, des manifestations et de l’enseignement des Esprits, c’est-à-dire des âmes des défunts) et un ensemble de pratiques, ou un art. Le commerce avec les Esprits implique en effet l’art de communiquer avec les esprits des personnes défuntes grâce à des techniques précises, qu’on suppose éprouvées (les tables tournantes ou les médiums). Voir Kardec, 2005 (1857). Le spiritisme a connu une nouvelle jeunesse dans le cadre du New Age (depuis les années 1970), sous le nom de «
channeling ». Voir Introvigne, 1989 et 2005 ; Ladous, 1989 ; Castellan, 1995 ; Edelman, 1995. Pour une approche contemporaine empathique, voir LeGuyader, 2003.
33 Vers la fin de l’épisode
Planète, durant lequel les « sociétés secrètes » constituèrent un leitmotiv, Louis Pauwels publie en 1971, dans une collection qu’il dirige, un
Dictionnaire des sociétés secrètes en Occident (ouvrage collectif, placé sous la direction de Pierre Mariel), préfacé par ses soins (« Des sociétés initiatiques en général »). La collection s’intitule de façon confuse : « Histoire des idées, des héros, des sociétés de la France secrète et de l’Occident » (pourquoi pas, par exemple, « et de l’Occident secret » ?), mais en quatrième de couverture, sous l’image symbolique de l’œil ouvert sorti de son triangle (motif maçonnique), on tombe sur ce qui paraît être le titre de la collection : « Histoire des personnages mystérieux et des sociétés secrètes ».
34 Louis Pauwels collaborait aux activités du GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) tandis qu’Alain de Benoist, l’idéologue de la « société de pensée » que le GRECE était censé être, collaborait au
Figaro-Magazine dirigé par Pauwels, qui lui avait confié la rubrique « Idées » dès la création de ce supplément hebdomadaire au
Figaro quotidien (d’abord titré
Le Figaro-Dimanche, lancé le 1
er octobre 1977 ; à partir du 7 octobre 1978 :
Le Figaro-Magazine). Dans les années 1970, Alain de Benoist collaborait également à la revue
Question de, patronnée par Pauwels. Il y publia notamment l’un de ses articles les plus significatifs : « La thèse du christianisme-poison » (n° 5, 4
e trimestre 1974, pp. 5-23), repris (avec quelques modifications) sous le titre « Le “bolchevisme de l’Antiquité” » dans son livre
Les Idées à l’endroit (1979, pp. 167-184), dont seuls les milieux néo-nazis cultivés pouvaient alors décrypter l’allusion au livre de Dietrich Eckart :
Le Bolchevisme de Moïse à Lénine. Dialogue entre Adolf Hitler et moi (1924) ; voir par exemple le résumé empathique qu’en fait la revue néo-nazie
Le Devenir européen, 20 novembre 1979, p. 10. À la fin des années 1970, alors que Pauwels faisait partie de la mouvance Nouvelle Droite au point de former un tandem avec Alain de Benoist, les éditions Copernic, fondée par des dirigeants du GRECE, publient deux livres d’un théoricien néo-nazi notoire, Jacques de Mahieu (Mahieu, 1977 et 1979), dont l’une des thèses est que « l’imposteur » et « apatride » Christophe Colomb aurait volé une « carte secrète » établie sur la base de données fournies par les Vikings norvégiens. En 1969, Jacques de Mahieu s’était fait connaître des milieux d’extrême droite en publiant un
Précis de biopolitique, mini-traité de racisme et d’eugénisme, premier livre édité par l’Institut supérieur des sciences psychosomatiques, biologiques et
raciales (Lausanne et Montréal). Autres ouvrages de la même collection (aux Éditions Celtiques, crées pour l’occasion) : Nous autres racistes (« Le manifeste social-raciste présenté par le Professeur G.-A. Amaudruz »), préface de Jacques Baugé-Prévost, 1971 ; Jacques Baugé-Prévost, Le Celtisme. L’éthique biologique de l’homme blanc (1973) ; J. Baugé-Prévost, La Médecine naturelle (1973), et Naturothérapie. Méthode naturelle de santé (1976) ; René Binet, Contribution à une éthique raciste (1975, posthume). On apprenait alors dans l’édition 1975-1976 du Who’s Who qu’Alain de Benoist était « docteur en biologie honoris causa » dudit Institut, créé en 1969 par les dirigeants du Nouvel Ordre européen (dont Gaston-Armand Amaudruz), organisation néo-nazie fondée en septembre 1951 ! Par ailleurs, Jacques de Mahieu était membre du comité de patronage de Nouvelle École (revue d’Alain de Benoist) depuis 1972, revue à laquelle il collaborait. Il est difficile de croire que Pauwels n’avait nulle conscience des ambiguïtés de cette mouvance néopaïenne où les « révolutionnaires conservateurs » croisaient les néo-nazis. Rompant avec les milieux néo-païens après sa reconversion au christianisme, Pauwels s’éloignera définitivement du GRECE en 1983. Voir Taguieff, 1994, en partic. pp. 203 sq., 237 sq. Pour les développements récents du GRECE, voir François, 2005.
35 Il ne s’agit pas de confondre le conservatisme réactionnaire d’un Louis Pauwels avec telle ou telle variété de néo-nazisme.
36 Le sous-titre du
Matin des magiciens est « Introduction au réalisme fantastique ». Au printemps 1963 est lancée l’Encyclopédie Planète (six volumes par an), dont le premier volume, de façon significative, est consacré aux « sociétés secrètes » (Alleau, 1963). En novembre 1969, dans le numéro 12 du
Nouveau Planète, Louis Pauwels et Jacques Bergier publient un premier extrait – intitulé « Des doutes sur l’évolution » – de leur ouvrage conçu comme « une suite au
Matin des magiciens ». L’article est ainsi présenté : les auteurs « abordent et expliquent l’évolution [
sic], dans la grande tradition du réalisme fantastique » (Pauwels/Bergier, 1969, p. 83). Sur cette posture « alter-scientifique » qui a fait tradition et a ses auteurs de référence (Tesla, Velikovsky, Sitchin, etc.), voir
infra, chap. VII.
37 Voir Pauwels/Bergier, 1972, pp. 350
sq.
38 La Société Thulé (
Thule-Gesellschaft), avec ses « secrets » et ses « initiés », est celle qui est le plus souvent citée, avec un accompagnement obligé dans l’histoire mythologisante des débuts du nazisme : la mise en scène du célèbre mentor de Hitler de 1919 à 1923, Dietrich Eckardt (1868-1923), représentant du courant
völkisch de la « Révolution conservatrice » allemande et occultiste (Pauwels/Bergier, 1972, pp. 419
sq.). Dans le même sens mythologisant, voir Ravenscroft, 1977, pp. 162-176. Pour comprendre la fascination exercée par les rapports entre Eckart et Hitler, il faut lire le petit livre posthume d’Eckart,
Der Bolchewismus von Moses bis Lenin. Zwiegespräch zwischen Adolf Hitler und mir (« Le Bolchevisme de Moïse à Lénine. Dialogue entre Adolf Hitler et moi »), paru en mars 1924 à Munich, dont une traduction américaine a été faite par l’un des principaux leaders néo-nazis, William L. Pierce, en 1966 (2
e éd., 1999). Voir
infra, chap. VII.
39 Voir Hutin, 1961. Pour une démystification, administrée par un archéologue français, impitoyable pour les « Grands Initiés » venus d’ailleurs et les « super-civilisations », voir Adam, 1975.
40 Sur le succès rencontré par
Le Matin des magiciens, les thèses défendues dans l’ouvrage et le lancement de la revue
Planète, voir Galifret, 1965 ; Renard, 1996.
41 Pauwels/Bergier, 1972, p. 28.
42 Pauwels/Bergier, 1972, p. 396.
44 L’historien et germaniste britannique Nicholas Goodrick-Clarke se montre justement sévère à l’égard de cette littérature : « Les livres écrits sur l’occultisme nazi entre 1960 et 1975 étaient typiques de la littérature à sensation et manquaient fort de sens critique. Une complète ignorance des sources essentielles, telle était la caractéristique de la plupart de ces auteurs […] » (Goodrick-Clarke, 1989, p. 311).
45 Pour une présentation actualisée des « recherches » et des « révélations » des spécialistes de la parapsychologie, définie comme « science et étude du paranormal, ou des événements et phénomènes insolites intervenant dans la vie des hommes : apparitions, hantises, dédoublements, bilocations, médiumnité, lévitation, transmission de pensée (télépathie) », voir l’« enquête sur l’au-delà » de Serge LeGuyader, publiée sous le titre
Dialogues avec les morts (LeGuyader, 2003).
46 Pauwels/Bergier, 1972, p. 346.
47 Pauwels/Bergier, 1972, p. 397.
48 Bergier,
in Seligmann, 1964, p. 27.
49 « Robert Charroux » est le pseudonyme littéraire pris par Robert Grugeau (né le 7 avril 1909 à Payroux, dans la Vienne), journaliste qui signa aussi des textes de fiction sous le nom de « Saint-Saviol » entre 1942 et 1946. Pétainiste, loin d’avoir exercé d’importantes fonctions ministérielles dans le gouvernement de Vichy (comme l’affirme de façon fantaisiste Goodrick-Clarke, 2002, p. 117), il fut un modeste employé des PTT. Entre 1947 et 1965, il exerce le métier de journaliste, notamment à
Ici-Paris. À partir de 1963, c’est sous le pseudonyme de Robert Charroux qu’il publia, hors collection, la série de ses essais alter-historiques et para-archéologiques chez Robert Laffont, traduits en plusieurs langues. Bénéficiant, dans les années 1970, d’une réputation internationale, Charroux a contribué à banaliser le passage des « mystères nazis » à la mythologie de plus vaste extension sur les Aryens et leurs ancêtres semi-divins (Goodrick-Clarke, 2002, p. 118). Pour une mise au point sérieuse, voir Stoczkowski, 1999, pp. 112-116, 139-142, 398-401.
50 Voir
infra, Bibliographie, I, la liste des livres de Robert Charroux, de l’
Histoire inconnue des hommes depuis cent mille ans (1963) à
L’Énigme des Andes (1974).
51 Voir notamment Amadou, 1950, et Amadou/Kanters, 1950.
52 « Au lecteur »,
La Tour Saint-Jacques, n° 1, nov.-déc. 1955, p. 1. Dans cette première livraison, on pouvait lire un dossier consacré à la « peinture magique de Léonor Fini », avec un article de Marcel Brion sur le « réalisme fantastique » (pp. 47-54), expression-drapeau reprise ultérieurement par Jacques Bergier et Louis Pauwels.
54 Rappelons que le premier volume de l’Encyclopédie Planète était consacré « aux origines et aux structures des sociétés secrètes » (Alleau, 1963). Il était dû à René Alleau, effectivement « spécialiste réputé des questions d’ordre ésotérique et de l’histoire de l’alchimie traditionnelle » (Pauwels, 1965, p. 6).
55 Pauwels, 1965, pp. 5-7.
56 Le Cour, 1926, 1950, 1971.
58 Churchward, 1969, 1970, 1972 ; Charroux, 1963, pp. 129-148, et 1971, pp. 145-188 ; Vincent, 1981.
59 Icke, 2001, pp. 33
sq., 108
sq. Sur les rapports entre les Lémuriens (« Troisième Race ») et les « gigantesques Atlantéens » (« Quatrième Race ») dans la « Doctrine Secrète » de Mme Blavatsky, voir Blavatsky, 2000, vol. 3 (
Anthropogenèse), pp. 191-449 ; Besant, 1912,
passim;
Abrégé de la Doctrine Secrète, 1923, pp. 296
sq.
60 Littéralement : « doctrine » ou « théorie de la glace du monde » (
Welteislehre, ou WEL).
61 Hörbiger/Fauth, 1913. Voir Webb, 1981 (1976), pp. 313, 325-333 ; Bowen, 1993 (étude d’ensemble) ; Goodrick-Clarke, 2002, pp. 131
sq.
62 Ravenscroft, 1977, p. 238, note 1.
65 Velikovsky, 2003 et 2004. Voir
infra, chap. VII.
66 Charroux, 1963, p. 139. Sur les « ancêtres supérieurs », voir Charroux, 1973, pp. 49-58. Dans d’autres ouvrages, Charroux identifie ces « ancêtres supérieurs » comme « hommes blancs » ou « Aryens », venant « d’une autre planète » (Charroux, 1967, p. 329). Voir Godwin, 2000, pp. 217-219. Pour une réinterprétation incluant l’hypothèse des « Visiteurs de l’espace », voir le livre de Brinsley Le Poer Trench traduit en 1975 :
Les Géants venus du ciel (1
re éd. anglaise, 1962), ainsi que les nombreux ouvrages de Charles Berlitz, spécialiste d’archéologie fantastique et d’ufologie de style conspirationniste, et auteur de best-sellers dans le genre (Berlitz, 1969, 1975, 1978, 1984a, 1984b, 1991). Paru en 1975, son ouvrage intitulé
Le Triangle des Bermudes, avait atteint en 1977, pour la seule édition anglo-américaine, un tirage de cinq millions d’exemplaires, et avait été traduit en vingt langues (Berlitz, 1978, p. 7).
67 « New R. Charroux », http://site.voilà.fr/NOUVELLE_PHILOSOPHIE/ page3.html, 28 avril 2005.
68 Voir
supra, Introduction, où sont brièvement présentées les thèses « alternatives » de Leonard G. Horowitz sur les origines du virus du sida. Son ouvrage principal,
La Guerre des virus, publié aux États-Unis en 1996 (Horowitz, 2000), est devenu une source d’inspiration commune à Louis Farrakhan et au « ministre de la Santé » de La Nation de l’Islam (le Dr Muhammad), à David Icke et à Jan Udo Holey (
Livre jaune n° 6, 2001, pp. 379-413 ;
Livre jaune n° 7, 2004, pp. 149-157).
69 Pour un examen critique de cette « épidémie du complot » face au « méchant loup pharmaceutique », voir Urfalino, 2005, pp. 11-41.
71 Voir l’entretien accordé à Leonard Horowitz par le Dr Muhammad,
in Horowitz, 2000, pp. 630-633. Voir aussi, sur le site de David Icke, la section « Medical Archives », où l’on peut lire en ligne des textes de Leonard Horowitz, par exemple : « SARS (Severe Acute Respiratory Syndrome) : A Great Global SCAM », http://www.davidicke.net/medicalarchives/conspiracy/sars.html .
72 Voir l’auto-présentation en forme d’éloge du créateur de la « naturothérapie », « doyen » de l’enseignement de la « médecine naturelle », Jacques
Baugé-Prévost, devenu en 1984 « chargé du cours de naturopathie à la faculté de Médecine Paris XIII » : http://www.onag.net/1inm/3info_gen/2jacques _noblesse/publica.html.
73 La première vague de vulgarisation a eu lieu à la fin du XIX
e siècle, dans les années 1880-1900 (Laurant, 1993, pp. 12-13, et 2001, pp. 84-85). Sur « les beaux jours de l’occultisme » en France (1870-1907), voir Laurant, 1992, pp. 117-162. Sur la période qui suivit la Première Guerre mondiale, voir Laurant, 2001, pp. 162
sq. Pour une vue d’ensemble des courants ésotéro-occultistes aux XIX
e et XX
e siècles, voir Webb, 1974 et 1976 (1981).
74 Voir l’article de J. Gordon Melton, 1998. Vision à nuancer en considérant la politisation à l’extrême gauche de certains milieux liés au New Age (des Hippies aux Yippies, aux Freebes ou aux Weathermen, passés au terrorisme) : voir faligot/Kauffer, 1995.
75 Ferguson, 1995 (1981).
76 Ferguson, 1995, p. 12.
77 Ferguson, 1995, p. 15.
78 Ferguson, 1995, p. 12.
79 Ferguson, 1995, p. 13.
80 Ferguson, 1995, pp. 122-134.
81 La vision du New Age comme « réseau » (
network) a été développée notamment par Massimo Introvigne (2005), dès 1994 (date de la première édition italienne de son livre sur la question).
82 Ferguson, 1995, p. 15.
84 Voir
supra, Introduction et chap. III.
85 Voir notamment Vernette, 1990 et 1993 ; ainsi que le document du Vatican diffusé en 2003 (
Jésus-Christ le porteur d’eau vive…).
86 Conseil pontifical de la culture/Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux,
Jésus-Christ…, 2003, 2.3.2.
87 Introvigne, 2005, pp. 264-267.
88 Voir
supra, Introduction et chap. III.
89 Extrait du texte de 4
e de couverture du livre de Colin Wilson,
L’Archéologie interdite. De l’Atlantide au Sphinx (Wilson, 2001).
91 Charroux, 1963, pp. 83
sq.
93 LeGuyader, 2003, p. 181.
94 La collection « Aventure secrète », dans laquelle a été réédité en mars 2005 le principal ouvrage du maître français du spiritisme, Allan Kardec (
Le Livre des Esprits), est ainsi présentée par l’éditeur en 2005 : « La spiritualité, l’ésotérisme et la parapsychologie offrent des perspectives fascinantes au monde moderne. Les sciences d’aujourd’hui rejoignent les traditions d’hier : l’invisible et les pouvoirs de l’esprit sont une réalité. “Aventure secrète” vous invite à porter un regard neuf sur vous et sur l’univers en répondant aux plus grandes questions de tous les temps. »
95 Deloux, 1991, pp. 11-12. Voir Pauwels/Bergier, 1972 (1960) ; Pauwels, 1965.
97 Voir Pipes, 1997, p. 17 ; Fenster, 1999, pp. 201-210. Ce roman a été suivi de plusieurs textes de Robert Anton Wilson mettant en scène les «
Illuminati » et relevant d’un genre inclassable (entre la fiction, sience-fiction comprise, et l’essai sur divers aspects du monde contemporain) :
Cosmic Trigger I : Final Secret of the Illuminati (1977),
The Illuminati Papers (1980),
Masks of the Illuminati (1981),
The Historical Illuminatus Chronicles (1982-1988, 3 vol.), et, en collaboration avec Miriam Joan Hill,
Everything Is Under Control : Conspiracies, Cults, and Cover-ups (1998 ; traduit en allemand dans une version augmentée en 2004).
98 Wilson, 1998, pp. 155-146 ; 2004, pp. 138-139.
100 Wilson, 1998, p. 347. Voir la traduction française intégrale de ce « livre sacré officiel de la Société discordienne » (qui aurait été rédigé en 1968, par Timothy Leary ou moins vraisemblablement par Alan Watts, et diffusé largement au début des années 1970), avec une introduction de Wilson (qui le citait en 1975 dans
Illuminatus !, trilogie co-signée avec Robert Shea), à l’adresse suivante : http://evilloop.com/principia.dicordia.html.
101 Voir Wilson (with Hill), 1998, articles « Discordianism » (pp. 155-156), « The Golden Apple Corps » (pp. 203-204), « OM » (p. 327), « The Sacred Chao » (pp. 369-370), « Kerry Thornley » (pp. 400-401). Voir aussi Vankin, 1996 ; http://www.prairienet.org/~kkbuxton/discordia.html ; http://www-2.cs.cmu.edu/~tilt/principia/
102 Dans
The Illuminatus ! Trilogy, Wilson dévoile son univers baroque et complotiste dès la série des noms propres cités, comme par exemple : Gary Allen et la John Birch Society, William Burroughs, Cagliostro, A. Daraul (
A History of Secret Societies, 1961), Leopold Engel, Henry Ford, Abbie Hoffman, Timothy Leary, Éliphas Lévy, Lovecraft, Ishmael Reed, John Robison, N. Webster, Weishaupt.
103 Voir Fenster, 1999, pp. 199-201, 210-215.
104 Illuminati est en effet un jeu Steve Jackson Games traduit en français par Jeux Descartes. Voir « Steve Jackson Games », http://fumble.blogspirit.com/ editeur/, mis en ligne le 28 juin 2005 ; référence à http://www.sjgames.com. Pour une description complète des règles du jeu
Illuminati, voir http://jeuxstrategie.free.fr/Illuminati_complet.php.
106 Selon une formule de Jean-Jacques Bedu.
107 Voir Bedu, 2005a, p. 289, et 2005b, pp. 89-92, 98.
108 Figure de la Haute Finance internationale. Une fois n’est pas coutume : les « Banquiers internationaux » sont présentés comme Suisses et non pas comme Juifs. Faut-il s’en féliciter? Ou risquer de sombrer dans le procès d’intention, en suggérant que les concepteurs du jeu se montrent ici fort prudents, montrant qu’ils tiennent compte des législations antiracistes?
109 Les
ovnis sont ainsi décrits, conformément à leur nature mystérieuse : « S’agit-il de créatures venues des profondeurs de l’espace ou de super-scientifiques humains? Ils sont les plus insaisissables de tous les
Illuminati. Leurs intentions sont voilées de mystère et changent constamment. […] L’avantage des
ovnis est la vitesse […]. »
110 Les traits du
Réseau sont ceux d’Internet, mais avec une touche conspirationniste dont l’indice est l’insistance sur la programmation et le contrôle. L’identité du
Réseau comporte dès lors des caractéristiques ordinairement attribuées à la CIA, et plus généralement aux services secrets perçus comme particulièrement puissants, bénéficiant d’une extension internationale et susceptibles d’un fonctionnement relativement autonome (par rapport aux gouvernements). Les concepteurs du jeu restent allusifs : « Certains racontent que le
Réseau est une conspiration formée par les programmeurs du monde entier; d’autres croient que les programmeurs ne sont que des pions et que les ordinateurs eux-mêmes mènent le bal. Quoi qu’il en soit, ils sont riches et puissants, et ils sont probablement en train de vous surveiller en ce moment même. Le Réseau sait tout, et il le sait avant tout le monde. »
111 Sur la réalité historique de l’ordre (ou de la secte) des Assassins (« Hachichins » ou « Haschischins »), secte ismaïlienne (ou ismaélienne) des Nizaris de l’islam créée par Hassan al-Sabbah (vers 1055-1124), voir Lewis, 1967 ; Wasserman, 2001 et 2005 ; Bartlett, 2001 ; Harding, 2005, pp. 23-26 ; Cox, 2005, pp. 28-31. Robert Anton Wilson, dans son lexique du conspirationnisme, consacre aux Assassins un article dans lequel il cite les prétendus derniers mots de Hassan al-Sabbah : « Rien n’est vrai, tout est permis », avant d’ajouter : « Attribuée à William Burroughs, [cette maxime] est devenue quelque chose comme un mantra et une sorte de koan dans la contre-culture littéraire de notre temps. » (Wilson, 1998, p. 54).
112 Créature mythique, empruntée à l’univers fantastique créé par Howard Phillips Lovecraft :
L’Appel de Cthulhu (1926),
Le Masque de Cthulhu,
La Trace de Cthulhu, etc. Dans
R’lyeh la Noire, par exemple, le grand Cthulhu attend en rêvant que les étoiles soient propices pour envahir la Terre et dominer le Monde. Voir Van Herp, 1999.
113 Allusion au « discordianisme » de Robert Anton Wilson. Voir
supra.
114 Le « Triangle des Bermudes » est une zone mythique dans la littérature ufologique ainsi que chez les spécialistes des « civilisations perdues » (sur le modèle de l’Atlantide). Il s’agit d’une zone de l’Atlantique occidental, située au large de la côte sud-est des États-Unis, et qui forme un triangle délimité au nord par les Bermudes, à l’ouest par la Floride méridionale, au sud par Porto Rico. En 1974, Charles Berlitz, « spécialiste reconnu des phénomènes extraordinaires », le présentait ainsi : « Ce secteur occupe une place primordiale, troublante, voire inimaginable dans l’inventaire mondial des mystères non encore élucidés » (Berlitz, 1975, p. 7). « Triangle » inquiétant, haut lieu des « disparitions inexpliquées », précise Berlitz (1975, p. 8), « où plus de cent avions et bateaux se sont littéralement évaporés, pour la plupart depuis 1945, et où plus
de mille vies humaines ont été perdues au cours des vingt-six dernières années sans qu’un seul corps ou débris de naufrage ait jamais été retrouvé » (Berlitz, 1975, p. 7 ; voir aussi Berlitz, 1978). Quinze ans plus tard, Berlitz publiera un livre sur le « Triangle du Dragon », zone située dans le Pacifique au large des côtes du Japon (la « mer du Diable »), « exactement à l’opposé du Triangle des Bermudes » dont il constituerait « le double inquiétant », où se produiraient des « disparitions soudaines et inexpliquées » de bateaux et d’avions (Berlitz, 1991, pp. 13-14). Sur le « Triangle des Bermudes », voir aussi Charroux, 1971, pp. 53-62 (qui fait référence au « Losange Magique » ou « Triangle de la mort »). Notons qu’à bien des égards (thèmes abordés, genre littéraire, public touché, etc.), Robert Charroux peut être considéré comme l’homologue français de Charles Berlitz.
115 Vincent Calame, le 27 février 1999, à l’adresse : http://www.multi.