VI
L’ésotérisme exposé : tentations, dérives, perversions
« Vous voilà toujours là ! Non, c’est inouï ! Disparaissez donc ! Nous sommes au siècle des Lumières ! Cette racaille diabolique ne s’inquiète d’aucune règle. »
GOETHE, FAUST 1
Partons d’un paradoxe que rencontre aujourd’hui tout observateur du phénomène « ésotérisme » : alors qu’il renvoie à un « ordre de connaissances réservé à une élite2 », impliquant l’accès des « initiés » à un savoir dit « occulte » parce qu’il porte sur des « forces cachées ou secrètes de la nature ou du cosmos […] que les instruments de la science moderne ne peuvent ni mesurer ni identifier 3 », et que le terme « ésotérisme », pour ses historiens les plus exigeants, désigne une « forme de pensée » approximativement définissable4 et, du moins pour l’« ésotérisme occidental », depuis la fin des années 1980, un domaine d’étude et de recherche institutionnalisé au sein de l’espace universitaire5, l’« ésotérisme » est devenu un label qui fait vendre, il catégorise un certain nombre de marchandises culturelles, mises à la portée de tous. Et il fournit un stock inépuisable de thèmes attrayants pour le monde journalistique, dont on connaît la propension à constituer des « dossiers » sur la franc-maçonnerie ou la parapsychologie, les « sectes », le satanisme ou l’astrologie. Bref, l’impénétrable est devenu le vulgarisable. Faut-il rappeler l’évidence, à savoir que le mystère fait rêver 6? Quant au secret, il excite la curiosité et incite à l’investigation infinie 7.
Déchiffrer, décoder, décrypter : c’est l’une des voies qui, chez les Modernes, joue le rôle de l’initiation (accès au sacré) et paraît conduire au savoir qui sauve 8. Donc à une forme à demi sécularisée de gnose, qu’illustrent les grandes idéologies politiques modernes (mais plus particulièrement le communisme), s’il est vrai que le croyant gnostique est celui qui croit qu’il sait 9. La dimension gnostique est ici inséparable d’une orientation sotériologique (relative aux doctrines de salut) : la connaissance équivaut au salut, à travers l’illumination. Pour la minorité de disciples « éveillés », qui accèdent au savoir caché de la vérité à la fois révélée et occultée, ce qui équivaut à une initiation, le salut est assuré. Tel est le cycle de l’enseignement hermétique : après l’expérience d’une révélation originaire, le Maître procède à une occultation de ce qu’il a vu et compris, ce qui justifie l’initiation, l’ouverture de la voie initiatique – pour l’initié, l’« accès à un monde secret, jusqu’alors ignoré du profane qu’il était10 ». Un certain nombre d’auteurs, à partir d’étymologies souvent fantaisistes, ont mis justement l’accent sur la dimension initiatique de toute forme d’ésotérisme (« initiare » : « commencer, introduire »)11. Le mot « ésotérisme », dérivé du grec eisôtheô (« je fais entrer », « je pousse dans »), est de création relativement récente en langue française (1828)12, ce qu’attestent certains dictionnaires, dont le Dictionnaire des mots nouveaux de Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers qui, en 1842, mentionne son usage commun dans un sens voisin du mot « occultisme 13 ». Plus précisément, l’historien Jean-Pierre Laurant a repéré le substantif « ésotérisme » dans un ouvrage de l’universitaire strasbourgeois Jacques Matter (1791-1864), spécialiste des écoles alexandrines : Histoire critique du gnosticisme et de son influence sur les sectes religieuses et philosophiques des six premiers siècles de l’ère chrétienne, publié en 182814. Matter pourrait ainsi avoir été le créateur du terme15, par lequel il entendait désigner une « libre recherche syncrétique puisant dans les vérités du christianisme et dans certains aspects de la pensée grecque, notamment du pythagorisme16 ».
Mais l’adjectif « ésotérique » avait été introduit précédemment, en 1742, par un auteur maçonnique, La Tierce, qui, dans Nouvelles obligations et statuts de la très vénérable corporation des francs-maçons, distinguait « deux sortes de doctrines » existant chez les francs-maçons : l’une, appelée « exotérique, qu’on pouvait communiquer aux étrangers, et l’autre ésotérique ou secrète, qui était réservée aux membres des Loges17 ». Au cours du XVIIIe siècle, note le lexicographe Alain Rey, l’adjectif « ésotérique 18 » est utilisé « comme terme de philosophie, pour qualifier l’enseignement professé au sein de certaines écoles de la Grèce antique, réservé aux seuls initiés (la doctrine ésotérique de Pythagore, de Platon) ». Le même auteur ajoute que, « par extension, il se dit de connaissances qui se transmettent par tradition orale à des adeptes initiés, d’où, à la fin du XIXe siècle, le sens non technique d’“obscur, hermétique” (1890), en parlant du langage, de la poésie19 ».
C’est un « occultiste », Alphonse-Louis Constant ou « l’abbé Constant », idéologue christiano-socialiste jusqu’en 184820, connu sous le pseudonyme qu’il prit en 1852 : Éliphas Lévi (1810-1875), le premier représentant du néooccultisme21, qui aurait introduit le mot « ésotérisme », dans sa signification aujourd’hui courante, au milieu du XIXe siècle, pour désigner un ensemble de traditions, de courants, d’écoles et de doctrines auquel, jusque-là, l’on référait ordinairement par les expressions « philosophia perennis » ou « philosophia occulta » 22. Son objectif était, conformément à la tradition, de déchiffrer les mystères de la Nature et de l’Histoire. Le même Éliphas Lévi, dans Dogme et rituel de la haute magie (1856) 23, s’est efforcé de définir « l’occultisme », terme qui commence à se diffuser vers 184224, comme science des mages réconciliant la raison et la foi25. Le mage écrit dans le Discours préliminaire de son livre :
« Nous avons osé fouiller les décombres des vieux sanctuaires de l’occultisme ; nous avons demandé aux doctrines secrètes des Chaldéens, des Égyptiens et des Hébreux, les secrets de la transfiguration des dogmes, et la vérité éternelle nous a répondu : la vérité, qui est une et universelle comme l’être; la vérité, qui appartient à la science comme à la foi ; la vérité, mère de la raison et de la justice ; la vérité vivante dans les forces de la nature […] 26. »

Le mage annonce ensuite avec enthousiasme la bonne nouvelle, celle de l’apparition du savoir qui sauve : « Le magisme, en révélant au monde la loi universelle de l’équilibre et l’harmonie résultant de l’analogie des contraires, prend toutes les sciences par la base, et prélude par la réforme des mathématiques à une révolution universelle dans toutes les branches du savoir humain 27. » Nouvelle gnose ou mysticisme paradoxalement scientiste et traditionaliste ? Dans ce contexte, le mot « magisme 28 » a fonctionné comme un synonyme d’« occultisme », lequel s’est finalement imposé dans le vocabulaire général.
Dérives et tentations
Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, et surtout dans les années 1880-1900, lorsque les sociétés occultistes de vulgarisation se multiplièrent, « transformant les initiés en batteurs d’estrade29 » et les « Nobles Voyageurs30 » en bateleurs et montreurs de merveilles 31, l’occultisme devint suspect, et le mot « occultisme » prit un sens péjoratif. Dans les années qui précédèrent la Grande Guerre, surtout à partir de 1910, on observe un « déclin de l’occultisme32 ». Après la mort du mage Papus (le 15 octobre 1916), l’Ordre Martiniste connut « les plus grandes vicissitudes », ses disciples se disputèrent son héritage et l’occultisme perdit une grande partie de sa puissance de séduction33 – avant de refleurir dans les années trente. D’où la réaction critique de René Guénon (1886-1951), qui, dans Le Théosophisme (1921) et L’Erreur spirite (1923), incitait ses lecteurs à dissocier « le véritable ésotérisme comportant une dimension spirituelle authentique des pratiques douteuses des sciences occultes, à la recherche de pouvoirs et héritières de l’ancienne magie34 ». Les critiques de Guénon conservent leur force face aux syncrétismes faciles et confus du New Age, qui dérive avant tout du théosophisme et de son occultisme pseudo-oriental, saupoudré de divers ingrédients : l’âge ou l’ère astrologique du Verseau, défini par Paul Le Cour et certains astrologues américains et belges avant la Seconde Guerre mondiale, le channeling, mode de communication avec l’au-delà censé permettre à l’individu de se connecter aux entités spirituelles, la réincarnation (à laquelle plus d’un Européen sur cinq dit croire !), une cosmologie faisant place aux anges et aux esprits, la croyance à un Christ cosmique animant l’univers comme une énergie subtile, etc.35 Mais les frontières sémantiques sont restées indéterminées entre « ésotérisme » et « occultisme » : chez certains auteurs contemporains, les deux termes sont employés en tant que synonymes, même si chaque auteur a ses préférences lexicales 36.
L’occultisme, selon Robert Amadou, ne saurait se réduire à « la “science” de tous les faits qu’une science officielle n’a pas reconnus » : il est « une vision de l’univers et une règle de vie 37 ». Ainsi abordé, l’occultisme peut se définir comme « l’ensemble des doctrines et des pratiques fondées sur la théorie des correspondances38 ». L’alternative demeure : aborder l’ésotérisme, assimilé à l’occultisme, dans sa spécificité occidentale, en supposant que « l’occultisme occidental » constitue un « courant ramifié lui-même de l’occultisme universel, mais d’une particulière unité 39 », ou bien s’efforcer d’appréhender un ésotérisme « universel », défini par un petit nombre d’invariants40: l’impersonnalité des auteurs, l’opposition entre profanes et initiés, le subtil, les correspondances, les nombres, les sciences occultes, les arts occultes et l’initiation. L’extension du concept d’« ésotérisme », aux bords flous, est donc fort large : dans l’histoire occidentale, on y rencontre par exemple le néo-pythagorisme, l’Hermétisme alexandrin et l’Hermétisme médiéval, le gnosticisme des premiers siècles de l’ère chrétienne, le néo-platonisme païen, l’alchimie, les courants mystiques médiévaux, les spéculations florentines, la Kabbale juive et les autres, le symbolisme maçonnique, mais aussi la théosophie et l’occultisme 41. Mais c’est au XVIe siècle seulement qu’a commencé de s’autonomiser, par rapport au champ de la religion officielle, le domaine mal défini de ce qu’on appellera plus tard « l’ésotérisme42 », existant par un « corpus de références » que les historiens ont pour tâche de constituer et d’analyser 43. On peut de façon féconde, avec Émile Poulat, postuler l’existence d’une « pensée ésotérique » (comme il y a une pensée scientifique, une pensée utopique, une pensée mystique, une pensée théologique ou plus précisément scolastique, etc.), aborder donc l’ésotérisme comme une « forme de pensée » qui représenterait la réélaboration moderne de la pensée symbolique 44. Poulat retrace avec clarté les grandes étapes du surgissement et du premier développement de l’ésotérisme comme phénomène moderne :

Si, dans toutes les variétés de l’ésotérisme, la question de l’initiation ne se pose pas nécessairement, au sens strict d’accès selon certains rituels à des connaissances secrètes ou réservées, il y a bien une attente ésotérique d’une illumination ou d’une renaissance dans et par un savoir qui libère et sauve (la « gnose »), ou permet de « faire agir des forces de nature secrète et mystérieuse (magie, alchimie, astrologie, théosophie) 46 ». Définie de façon générale comme « transmission » ou « communication du sacré47 », l’initiation jette un pont entre le religieux et l’ésotérisme (comme phénomène moderne). D’une façon générale, l’ésotérisme implique une relation à l’occulte, et postule qu’il y a un « sens caché », ou que le « vrai sens » est caché. Quant à la relation entre l’ésotérisme et l’occultisme, elle demeure problématique, historiens et sociologues la déterminant à partir de présuppositions qui varient. On peut la concevoir grossièrement selon le schème du rapport entre la théorie et la pratique, ce qui engage certains sociologues à définir comme « ésotériques » les « systèmes de croyances philosophico-religieux qui sous-tendent les techniques et les pratiques occultes48 ». On peut aussi définir en extension le concept d’ésotérisme pour renvoyer à tous les modes de pensée traditionnels et non « rationnels » (au sens moderne du terme, le modèle normatif de la rationalité étant le discours de la physique mathématique). L’historien Jean-Pierre Laurant proposait, au début des années 1980, de réserver le mot « ésotérisme » pour désigner « la nature de la démarche49 » et le mot « occultisme » pour référer à son objet 50. Mais l’on peut aussi, de façon plus satisfaisante, aborder l’occultisme, sous l’hypothèse que l’ésotérisme est une « attitude d’esprit » ou un « style d’imaginaire » (Faivre), comme le visage ou la « tournure » que prennent les courants ésotériques dans leur multiplicité, vers 1840, lorsque s’ouvre l’époque de ce qu’il est convenu d’appeler « sécularisation », conduisant le « regard ésotérique » (Laurant) à se diriger vers des savoirs autres que théologiques 51. Les sociologues, psychologues et historiens qui étudient dans un cadre universitaire les « courants ésotériques et mystiques » contemporains52 n’avancent pas de critères incontestables pour les distinguer des « nouveaux mouvements religieux », dont certains peuvent être qualifiés plus justement de « magiques 53 ». Les chevauchements de ces catégories descriptives (« courants ésotériques », « nouveaux mouvements religieux », « nouveaux mouvements magiques », « nébuleuse mystico-ésotérique »), appliquées à des ensembles culturels observables, sont inévitables.
Dans la société de masse, on fait des best-sellers avec des doctrines ou des motifs « ésotériques », avec du « sacré » comme avec du secret. Ces best-sellers sont accompagnés d’une promesse adressée aux lecteurs : illuminés par leur lecture (sous certaines conditions), ces derniers seront à même de déchiffrer l’invisible et de pénétrer les arcanes de l’Histoire. La méthode privilégiée est celle de l’interprétation des signes et des symboles, qu’on rencontre dans toutes les pratiques divinatoires54. Les lecteurs sont contents : ils sont convaincus d’avoir les moyens de connaître le passé, de comprendre le présent et de prévoir l’avenir. La divination à portée de main. La consommation d’astrologie en témoigne depuis longtemps, dans un contexte marqué par une déchristianisation croissante, ou plus exactement du recul de l’emprise des institutions chrétiennes55, qui paraît favoriser la montée des croyances au paranormal et aux « parasciences56 ». Bref, le processus de sécularisation, en desserrant l’emprise du christianisme institutionnel, libère le goût de « l’irrationnel », qui trouve ses aliments dans les superstitions les plus anciennes, les croyances au surnaturel et la quête de l’au-delà. Cependant, l’héritage chrétien persiste sans toujours être visible : il forme, selon Guy Michelat, « un humus sur lequel se sédimentent les nouvelles croyances ». La série des enquêtes psychosociologiques effectuées par une équipe du Cevipof57, entre 1982 et 2000, sur les croyances des Français dans les « parasciences » a permis d’établir notamment les résultats suivants : 1) 26 % des personnes interrogées déclarent « croire aux prédictions par les signes astrologiques, les horoscopes » ; 2) 41 % des personnes interrogées déclarent croire à l’explication des caractères par les signes astrologiques ; 3) 13 % d’entre elles environ ont déjà consulté un ou une astrologue. Une récente enquête sur « les croyances des Français », réalisée par la Sofrès, montre qu’environ un tiers des personnes interrogées est sensible à la thématique improprement qualifiée d’« ésotérique » ou « magique » (on pourrait tout autant la dire « scientiste », la croyance aux parasciences étant aussi forte que la foi dans la science « normale ») : si seulement 15 % disent croire aux fantômes, aux revenants, on passe à 55 % pour ce qui touche à la guérison par magnétiseur et par imposition des mains, l’explication des caractères par les signes astrologiques recueillant près de 40 % chez les hommes et environ 55 % chez les femmes58. Selon un sondage réalisé par l’Ifop en 2004, 42 % des personnes interrogées pensent que les miracles existent, 59 % que « quelque chose » subsiste après la mort, et 26 % affirment avoir connu une expérience surnaturelle – allant de l’hallucination au pressentiment, en passant par l’expérience mystique. Aux États-Unis, de récentes enquêtes indiquent que 15 % des étudiants croient aux prédictions astrologiques et que, dans la population générale, 39 % des adultes croient que l’astrologie est « scientifique » – on est ici loin de l’ésotérisme comme mode de connaissance irréductible à la science moderne et à ses méthodes. Ce que cherchent les consommateurs d’horoscopes, c’est de connaître l’avenir, ce que la science « officielle » ne peut offrir. D’où « l’éternel retour » de Nostradamus (1503-1566), médecin, visionnaire, prophète et astrologue 59. Dans ce monde de croyances qui émerge à l’extérieur de la sphère religieuse institutionnelle, ce qui est mis en accusation, ce n’est pas la science comme telle, c’est la science « officielle », à laquelle on reproche son refus de considérer certains phénomènes, notamment ceux qui, supposés témoigner de l’existence de correspondances invisibles entre tous les plans ou niveaux de réalité de l’univers, ne seraient accessibles que par le recours à certaines techniques, à certains outils, à certains rituels. Les croyances astrologiques reposent sur une telle conception du monde, structuré par des correspondances célestes et terrestres. On peut y reconnaître la fonction traditionnelle du mythe : donner une explication globale du monde et du devenir 60. Mais l’idéal baconien de la science n’est pas totalement étranger à ce monde de croyances, dans lequel on se propose bien de maîtriser par le savoir. Pouvoir prédire, c’est pouvoir maîtriser le plus immaîtrisable : l’avenir.
Dans la société de communication, on assiste donc à une vulgarisation de ce qui relève en principe du secret, bref, de la transmission « ésotérique ». Le savoir qui était le privilège d’un petit nombre est offert à un lectorat universel, à qui l’on demande seulement de savoir lire tant bien que mal. Les « initiés » peuvent se rencontrer à tous les coins de rue. Mais, tout comme dans les cultures traditionnelles ou pré-modernes61, les formes modernisées de la divination ont une fonction sociale ou psychosociale : donner du sens à la suite des événements. À l’enseignement ésotérique semblent s’être substituées des suites de « révélations » sensationnelles, mises en récits attrayants, lesquels peuvent prendre la forme de fictions romanesques ou de reconstructions historiques « alternatives » (dues à des « historiens » se définissant contre le monde des historiens « officiels »). Quoi qu’il en soit, l’historien, le sociologue et l’ethnologue du contemporain ne peuvent qu’être frappés par les vagues successives d’engouement pour ce qui relève du champ large de l’ésotérique. En 1974, Mircea Eliade, s’interrogeant sur « l’étonnante popularité de la sorcellerie dans la culture et les sous-cultures de l’Occident moderne », formulait cette juste remarque : « L’intérêt actuel pour la sorcellerie est partie intégrante d’une tendance plus large : la vogue de l’occulte et de l’ésotérique, embrassant l’astrologie et les mouvements pseudo-spiritualistes, l’hermétisme, l’alchimie, le zen, le yoga, le tantrisme et autres gnoses et techniques orientales 62. » Tel est le point d’où il faut partir : il existe une littérature dite ésotérique, aux multiples spécifications religieuses et politiques, dont les auteurs prétendent dévoiler et transmettre des connaissances sur la « logique » profonde de la marche de l’Histoire, voire de l’évolution du monde. On parlera ainsi d’un « ésotérisme d’extrême droite63 », chrétien ou anti-chrétien, nationaliste ou raciste, catholique traditionaliste ou néo-païen, d’un ésotérisme « fascisant 64 », voire néo-nazi. Dans presque tous les cas de figure, la dimension antisémite est présente, liée à l’imaginaire du complot.
De multiples auteurs aux visées fort différentes, allant des professionnels de la fabrication de best-sellers à des mythomanes ou à des escrocs plus ou moins habiles65, ont contribué à l’élaboration des mythes modernes dont se nourrit la « crypto-histoire », soit tous les récits prétendant révéler événements, personnages et actions appartenant à « l’histoire secrète ». Les versions populaires de cette littérature « ésotérique » apparaissent au cours du dernier tiers du XIXe siècle. En témoigne par exemple la publication du célèbre ouvrage d’Édouard Schuré, Les Grands Initiés, qui sera un best-seller doublé d’un long-seller 66. De tels médiateurs diffusent largement la figure, mi-occultiste mi-complotiste, des « Supérieurs Inconnus » ou des « maîtres secrets », popularisée par Mme Blavatsky qui supposait l’existence d’une Grande Fraternité Blanche des Maîtres ou « Mahatmas » initiés du Tibet, bien sûr inconnue des humains ordinaires67. Ces « Mahatmas » étaient censés conserver la doctrine d’un « bouddhisme ésotérique », transmis par des voies proches du spiritisme68. Mais certains Maîtres étaient connus : Jésus, Bouddha, Confucius, Jakob Boehme, Cagliostro, le comte de Saint-Germain, etc. Chez Mme Blavatsky, fondatrice de la Société théosophique le 7 septembre 1875 69, les sentiments anticléricaux se mêlaient à une orientation antichrétienne que n’ont pas manqué d’exploiter certains polémistes catholiques dénonçant le caractère de contre-Église des entreprises « ésotériques » de ce type. S’il est vrai que « la façon dont on raconte l’histoire façonne l’histoire » (Jean-Pierre Faye), alors l’on peut s’interroger sur les effets de la diffusion massive de ces récits qui mythologisent le cours de l’histoire. La fabrication, l’exploitation et l’efficacité symbolique des mythes politiques modernes ont été surtout analysées dans le cadre des travaux sur les totalitarismes du XXe siècle. Mais ces derniers pourraient n’en constituer que l’un des modes d’emploi possibles de la puissance des mythes. Et certainement pas le dernier. C’est ce que paraissait supposer Ernst Cassirer qui, dans son dernier ouvrage, rédigé en 1945, sur « le mythe de l’État », partait d’un diagnostic éclairant :

C’est sur Internet que se diffuse massivement, depuis le début des années 1990, la littérature qu’on peut classer approximativement dans la catégorie de l’« ésotérisme d’extrême droite », qui se présente comme une région mal délimitée de la nébuleuse « mystique-ésotérique 71 », qu’on pourrait qualifier tout autant de « mystico-ésotéro-occultiste72 », disons sa région politisée d’une façon plus ou moins explicite. Des textes circulent sur une multitude de sites, qui, pour certains, proposent aux internautes d’acquérir des livres sur les questions abordées, le plus souvent des compilations confectionnées avec plus ou moins d’habileté. Il y a un marché de l’ésotérisme infiniment plus large que celui des doctrines classées à l’extrême droite. De ce marché, les écrits extrémistes (racistes, antisémites, néo-nazis, négationnistes, etc.) bénéficient d’une façon considérable. Sous la forme d’ouvrages, de brochures ou de revues portant sur l’influence occulte des sociétés secrètes (la franc-maçonnerie au premier chef), les conspirations qui mènent le monde et la « face cachée » de l’Histoire (nécessairement « ténébreuse73 »), ainsi que sur la dimension ésotérique du nazisme – célébrée comme telle –, ces écrits syncrétiques peuvent s’acquérir dans les librairies générales au rayon « ésotérisme, occultisme, etc. » et dans les librairies spécialisées en « ésotérisme », où l’on a l’embarras du choix devant la diversité baroque des rubriques : occultisme, astrologie, alchimie, magie (blanche et noire, et « magie sexuelle »), théosophie, tarots, Kabbale74, franc-maçonnerie, Rose-Croix, spiritisme, anthroposophie, numérologie, Égypte des Pyramides (« Égypte mystérieuse »75, Templiers, magnétisme, santé naturelle, parapsychologie, paranormal, développement personnel, ovnis et extraterrestres (ou ufologie), sociétés secrètes, anges (« anges gardiens » compris), Atlantide, sorcellerie, télépathie, tantrisme, au-delà, divination, etc. 76 Mais l’on peut tout autant faire son marché dans les librairies d’extrême droite (rayons « Traditions », « Catharisme », « Celtisme », « Chevalerie », « Runes », etc.), voire, lorsque des indices d’« antisionisme » radical permettent de les identifier, dans certaines librairies islamistes. Si les mouvances néo-nazies, donnant toutes dans le conspirationnisme77, sont fort bien représentées dans ce corpus hétérogène (voire hétéroclite), les courants traditionalistes et contre-révolutionnaires (ou anti-modernes), liés ou non à une forme de christianisme, s’y maintiennent, souvent inséparables d’orientations racistes ou antisémites. Même si l’anti-maçonnisme peut paraître dominer dans ce champ politico-culturel, on y rencontre aussi des inspirations maçonniques mâtinées d’occultisme, par exemple en référence à René Guénon, souvent embrigadé abusivement78. L’ésotérisme néo-nazi, comme tout ce qui renvoie au nazisme79, se prête au kitsch, et constitue un filon non négligeable pour fabriquer des best-sellers, tandis que l’ésotérisme traditionaliste, se réclamant des « traditionnistes80 » René Guénon ou de Julius Evola (1898-1974), reste l’affaire de petits groupes d’enthousiastes ou de militants lançant des revues éphémères 81. Ce fut le cas, en langue française, de la revue évolienne Totalité (« Pour la révolution culturelle européenne »), créée en 1977 par un groupe comprenant notamment Daniel Cologne, Claudio Mutti et Georges Gondinet, lequel, évolien militant, fondera plus tard, en 1982, les Éditions Pardès 82, où seront traduits nombre de livres ou d’opuscules d’Evola. L’historien et militant politique néo-nazi Claudio Mutti, converti à l’islam dans une perspective fondamentaliste et antimoderne, peut être considéré comme un disciple d’Evola, proche du « nazi-maoïste » Franco (dit « Giorgio ») Freda (né en 1941), autour duquel s’est constituée une mouvance « traditionaliste-révolutionnaire ». Il est hautement significatif que Mutti ait réédité en 1971 et en 1976 les Protocoles des Sages de Sion (dans la version italienne réalisée par l’idéologue fasciste Giovanni Preziosi, en 1921) aux Edizioni di Ar, maison d’édition fondée en 1963 à Padoue et animée depuis par Freda 83.
Dans le texte-manifeste sur lequel s’ouvrait chaque livraison de la revue Totalité, l’orientation de celle-ci était clairement définie par la « négation du monde moderne, la révolte intégrale contre le système bourgeois » :
« Le titre de Totalité […] marque simplement, à l’aurore de la longue marche de la révolution européenne, la volonté d’engager un combat total – spirituel, culturel, politique – contre les forces, manifestes ou occultes, décidées à mener à terme le processus, entamé de longue date, de dénaturation complète de l’Europe et à ranger celle-ci au musée de l’histoire. En ce sens, Totalité éclairera et soutiendra, en Europe et hors d’Europe, les mouvements agissant dans la direction des luttes de libération nationale et populaire contre les oligarchies mondialistes, luttes qui sont le reflet opaque, dans les conditions historiques présentes, du combat permanent mené derrière les coulisses de l’histoire, entre la Tradition et la Subversion. »

Cette orientation politique et métapolitique peut être approximativement dénommée « traditionalisme intégral ». Chez Pardès sera par ailleurs lancée la collection « Révolution conservatrice » (en référence aux divers mouvements d’extrême droite dans l’Allemagne des années 1918-1932), dirigée par Alain de Benoist, le plus prolixe des auteurs de la mouvance « Nouvelle Droite ». Y seront publiés notamment des livres de Carl Schmitt, de Werner Sombart, d’Ernst Niekisch, d’Arthur Moeller van den Bruck, etc. Puis, dans les années 1990, cette maison d’édition sera conduite à privilégier le domaine flou mais attractif où l’on trouve en vrac les rubriques « ésotérisme », « occultisme », « arts martiaux », « astrologie », « mythologie celtique », « archéologie mystérieuse », « numérologie », « symboles » et « traditions », « Runes », « tarot », et ce, en faisant appel à un auteur d’extrême droite (de tendance « nationaliste révolutionnaire », c’est-à-dire néo-fasciste) tel que Christian Bouchet84, voisi- nant avec un autre membre d’Unité radicale, Bernard Marillier, l’un et l’autre auteurs de plusieurs titres dans la collection « B.A.-BA »85. En 1998, les éditions Pardès lancent une revue « ésotérique » : L’Essentiel, surtitrée « Un autre regard sur le monde » et sous-titrée « La revue de la spiritualité, du développement personnel et de la santé naturelle »86.
Mais l’on rencontre aussi des traces de l’influence de Guénon et d’Evola, mêlée à d’autres (Mme Blavatsky, Aleister Crowley, etc.), dans les « nouveaux mouvements religieux » ou « magiques »87, voire dans certaines « sectes », les frontières entre ces catégories descriptives étant souvent floues88. On prend très au sérieux, dans ces milieux, la boutade du « magicien noir » anglais Aleister Crowley (1875-1947) : « Avant que Hitler ne fût, je suis 89. » Cette boutade est ordinairement commentée par telle ou telle remarque d’un personnage « autorisé », par exemple Guénon écrivant le 4 septembre 1938 à Renato Schneider : « Ce qu’il y a de vrai, c’est que, au début de l’affaire d’Hitler, il n’y a pas eu seulement Trebitsch-Lincoln, mais aussi Aleister Crowley […]90. » La mention du « Juif Trebitsch-Lincoln » permet aux théoriciens du grand complot (capitaliste-communiste-nazi) de dénoncer les complicités ultra-secrètes entre dirigeants nazis et personnages d’origine juive (souvent qualifiés de « cosmopolites »). On peut en trouver un exemple dans le fascicule diffusé à Vichy en décembre 1943 par des milieux militaires français, L’Impérialisme allemand et les Sociétés secrètes germaniques, où « le Juif Trebitsch-Lincoln », présenté comme « ancien citoyen anglais, ancien agent de renseignements, homme d’une brillante culture et agitateur international », est accusé de s’être « trouvé mêlé comme conseiller intime de Ludendorff au coup d’État nationaliste de Kapp » à Berlin et d’avoir connu Hitler à ses débuts. La leçon tirée est la suivante : « Comme il sévissait sous Guillaume II, puis au temps de la République de Weimar, le cosmopolitisme sévit encore dans les centres dirigeants occultes et même visibles du IIIe Reich 91… »
Les références à Crowley (qui prétendait incarner « la Bête de l’Apocalypse », ou la « Grande Bête 66692 »), ami de l’occultiste allemand Theodor Reuss (1855-1923) et adepte de magie sexuelle93, se rencontrent régulièrement dans la littérature ésotérico-complotiste94. Passionné par le tantrisme, Crowley affirmait par exemple que le véritable « secret des Templiers » résidait dans la magie sexuelle. Chez Crowley, la référence empathique à l’Antéchrist de l’Apocalypse (« 666 » : le chiffre de la Bête) allait de pair avec un certain satanisme assumé par le « mage noir », comme dans les invocations du type : « Toi, Soleil spirituel, ô Satan ! Toi, œil ! Toi, volonté ! Crie à forte voix ! […] Tourne la roue, ô mon Père ! Ô Satan! Ô Soleil95! » Crowley était membre de la Golden Dawn (The Hermetic Order of the Golden Dawn – « L’Ordre hermétique de l’Aurore dorée »), considérée comme la plus puissante et la plus secrète des organisations magiques modernes, fondée en 1888 par les francs-maçons anglais William Robert Woodman, William Wynn Westcott et Samuel Liddell MacGregor Mathers (dit MacGregor Mathers, époux du peintre Mina ou Moïna Bergson, sœur du célèbre philosophe français)96. Outre Crowley (qui, après y être entré le 18 novembre 1898, le quitta en 1907 pour créer l’Astrum Argentinum), l’Ordre comptait dans ses rangs l’auteur de Dracula, Bram Stocker, la révolutionnaire irlandaise Maud Gonne et le poète irlandais William Butler Yeats. En 1895, Papus y fut initié par Mathers97.
On rencontre aussi les marques d’une fascination pour Crowley dans la mouvance de l’Église de Scientologie (son fondateur, L. Ron Hubbard, ayant figuré un temps parmi ses disciples 98 et dans d’autres « sectes » ou « nouveaux mouvements religieux ». L’influence de Crowley fut sensible, par exemple, au sein de l’A.M.O.R.C. (Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix), société rosicrucienne internationale créée aux États-Unis par Harvey Spencer Lewis (1883-1939) 99. Mais son influence diffuse a aussi touché les milieux culturels contemporains, notamment les musiciens rock ou pop : le guitariste Jimmy Page et le groupe rock Led Zeppelin 100, David Bowie, Andy Summers et Sting du groupe Police, Mick Jagger des Rolling Stones, voire les Beatles101. Le sulfureux Crowley fascine dans les milieux de la culture underground, en particulier durant les années de l’aventure hippie. Le mythique cinéaste underground Kenneth Anger lui rend hommage dans deux films « suavement décadents » : Inauguration of the Pleasure Dome (1954, « LSD version » en 1966) et Invocation of my Demon Brother (1969), film sur le diable dont Mick Jagger compose la musique au synthétiseur. Dans ce film, le rôle principal, celui de Satan, est tenu par Anton LaVey, adepte de la magie noire et fondateur de l’Église de Satan (1966)102. Et, depuis la vague psychédélique des années soixante (qui avait marié le LSD, le zen macrobiotique, l’antimilitarisme, la musique pop/rock, le maniement du pendule et le tarot divinatoire), il y a toujours un public pour les « révélations » sur les sociétés secrètes de la Belle Époque, marquée par la figure du « mage Papus » (Gérard Encausse, 1865-1916, dit Papus), grand vulgarisateur de l’occultisme 103, initiateur en la matière du jeune Guénon, à la fin de 1906 – plus tard, Guénon soumettra à une critique dirimante les doctrines occultistes, en référence à Papus ou à Mme Blavatsky 104. Dans son Traité élémentaire de science occulte, dont la première édition date de 1888, Papus assimilait ésotérisme et occultisme : « La doctrine ésotérique est donc la doctrine cachée, celle qui était communiquée oralement. On a donné le nom d’Ésotérisme à la tradition occulte, quelle qu’en soit la source 105. » Son ABC illustré d’occultisme commençait par l’énoncé d’une « définition générale » : « L’Occultisme a pour but l’étude de la tradition antique concernant les forces cachées (hyperphysiques) de la Nature, de l’Homme et du Plan divin 106. » Papus ajoutait aussitôt que l’enseignement de cette « tradition » était réservé à une élite, à travers un processus d’initiation : « Cette tradition était enseignée, aussi bien dans l’antique Égypte que dans les anciens sanctuaires de la Chine et de l’Inde, à une élite d’individus sélectionnés par une initiation progressive. La science n’était donc pas prodiguée à tout le monde ; elle était cachée dans les temples et nous pouvons définir ce premier aspect sous le nom de Science cachée (Scientia occulta) 107. » On pourrait aujourd’hui, la « Science cachée » étant largement sortie des temples, distinguer la littérature « ésotérique » destinée à un public restreint d’« initiés » (en un sens non nécessairement initiatique) de la littérature « ésotérique » de masse, visant le « grand public » et s’adaptant à ses demandes, lesquelles varient avec les modes culturelles.
Ce type de littérature, dont les frontières avec le champ de la « science-fiction » et du « fantastique », celui des « nouvelles religions » (sections « Paganisme » et « New Age ») et du satanisme, celui des écrits antijuifs (ou anti-judéomaçonniques) et celui du néo-nazisme demeurent floues, représente une offre spécifique destinée certes à un public spécialisé, mais aussi à un public large et indéterminé. À en juger par les présentations publicitaires, cette offre est double : d’une part, permettre au lecteur l’accès à un savoir réservé, destiné aux seuls initiés, auxquels est ainsi conféré le pouvoir de pénétrer les mystères et les énigmes du monde ainsi qu’une clé de l’Histoire (dimension proprement « ésotérique » de transmission de connaissances secrètes et « éclairantes »); d’autre part, faire entrer le lecteur dans le monde ténébreux des conspirations et des manipulations, en lui donnant l’assurance qu’il explore avec l’effroi requis (source de jouissance) la « face cachée de l’Histoire » ou la réalité invisible dont les non-initiés ne perçoivent que les apparences trompeuses. Le lecteur est à l’ordinaire séduit par la promesse de faire partie d’une élite, l’élite de ceux qui savent. Que sont-ils censés savoir? Ni plus ni moins que le principe du Mal, et comment ce principe se manifeste dans l’histoire du monde. Ce précieux savoir est présenté comme la condition nécessaire d’une défense efficace contre la menace. Savoir, c’est déjà réagir. Il s’agit bien d’un savoir qui sauve : telle est la dimension gnostique de ce type de littérature qui ne cesse de se diffuser à travers des best-sellers, en Europe comme en Amérique du Nord. Sa politisation d’extrême droite implique la centration des « révélations » sur la figure des « gouvernants invisibles », conspirateurs puissants et cyniques qui, liés à des « sociétés secrètes », exercent ou visent à exercer le pouvoir mondial108, impliquant la destruction de la civilisation chrétienne. C’est pourquoi le monde moderne peut être dénoncé comme satanique : la modernité est globalement décryptée comme le règne masqué des « Supérieurs Inconnus », c’est-à-dire les « initiés » supérieurs et invisibles. Dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, l’abbé Barruel parlait d’« arrière-loges » pour renvoyer aux chefs occultes de la franc-maçonnerie 109, c’est-à-dire à la véritable maçonnerie : la maçonnerie « extérieure » n’était à ses yeux qu’un décor trompeur. Les antisémites traduiront au début du XXe siècle : les « Sages de Sion 110 », derrière toutes les « sociétés secrètes », derrière aussi les communautés juives visibles dans la Diaspora. D’où la dénonciation litanique des « véritables maîtres du monde » qui, n’étant jamais ceux qui sont visibles, demeurent inconnus, voire inconnaissables, leur identification appelant en conséquence un travail infini d’enquête et de décryptage des indices. On lit dans le Protocole 4: « Qui pourrait renverser une force invisible ? Car telle est notre force. La franc-maçonnerie extérieure ne sert qu’à couvrir nos desseins ; le plan d’action de cette force, le lieu de son séjour même resteront toujours inconnus au peuple111. » Inquiétante étrangeté, que les visionnaires conspirationnistes ne cesseront de conjurer par l’administration de « preuves » de la réalité du danger.
Ces thèmes sont au principe d’une vaste littérature qu’on peut qualifier de « populiste d’extrême droite 112 », incarnée par des auteurs de best-sellers, en particulier aux États-Unis 113. Dans les théories du complot reformulées par les nouveaux courants d’extrême droite, on observe une orientation de plus en plus antiploutocratique (ou anticapitaliste) et antimondialiste (« antiglobalist »), contrastant avec la prédominance de l’anticommunisme jusque dans les années 1980 114. L’extrême droite ésotérico-complotiste, par ses traditions, aura constitué une excellente structure d’accueil pour ce discours antimondialiste, qui présente de nombreuses ressemblances avec celui des nouvelles extrêmes gauches (« antimondialisation » ou « altermondialistes ») : centration sur la dénonciation du Nouvel Ordre mondial, dramatisation de la menace incarnée par le « Gouvernement mondial » que les conspirateurs « mondialistes » sont censés mettre en place, sous divers « masques115 ». Il est un invariant mythopolitique hautement significatif : « Rothschild, roi de l’époque 116 ». Cette représentation figée indique la dimension antisémite originellement constitutive de la vision du « complot mondial », dont l’héritage fragmenté peut se reconnaître de façon plus ou moins prononcée dans toutes les formes d’« antimondialisme117 » où se pratique la dénonciation des « maîtres du monde » censés conduire l’humanité à sa perte. Dans le vaste champ de circulation des représentations du « complot mondial », il reste à étudier la distribution de certains thèmes, les formulations spécifiques des arguments conspirationnistes de base, les formes de la pensée rigide et l’intensité du dogmatisme.
Perversions : ésotérisme raciste, pré-nazi et nazi
On rencontre inévitablement dans la littérature « ésotérique » d’extrême droite une réactivation des légendes et des rumeurs antisémites classiques, avec une préférence pour la dénonciation, dans un style conspirationniste inventé par les contre-révolutionnaires catholiques, de la toute-puissance planétaire de la famille Rothschild, ainsi que, plus particulièrement dans les publications des courants « païens », le réemploi d’un certain nombre de doctrines racistes (à dominante antisémite) marquées elles-mêmes par une dimension ésotérique ou occultiste. On peut y voir l’une des manifestations du néo-paganisme contemporain, parmi bien d’autres moins inquiétantes. Ces doctrines peuvent être pré-nazies : la revue Ostara de l’aryosophiste Jörg Lanz von Liebenfels (1874-1954), les délires sur les « Aryo-Germains » et le culte armano-wotaniste de Guido von List (1848-1919), « le premier écrivain populaire à combiner l’idéologie völkisch avec l’occultisme et le théosophisme118 », la Société Thulé fondée par Rudolf von Sebottendorff (1875-1945), idéologue völkisch, occultiste, franc-maçon et membre du Germanenorden (Ordre « germanique », c’est-à-dire raciste et antisémite, fondé en 1912 avec l’appui de Theodor Fritsch), théosophe et espion tout à la fois119.
Ostara était un périodique paraissant depuis 1905, fondé par Adolf Joseph Lanz, dit Jörg Lanz von Liebenfels, aventurier aux idées confuses, connu à Vienne pour être un doctrinaire mystico-raciste et un antisémite fanatique. Lanz était un ancien membre de l’ordre cistercien (1893), qui, après avoir été ordonné prêtre en 1898, avait quitté l’abbaye de la Sainte-Croix à Wiener Wald, en 1899, pour fonder en 1900 l’Ordre du Nouveau Temple. Il se donne un titre de noblesse (baron) et un autre de docteur, fait profession d’un virulent anti-catholicisme, rejoint les milieux pangermanistes, et se lance dans une activité de polygraphe, diffusant les thèses aryanistes, exploitant le symbolisme de la croix gammée, donnant sans réserve dans la satanisation et la criminalisation des Juifs. Il commence par collaborer à Das frei Wort (« La Libre Parole »), journal créé en 1901 et devenu par la suite l’organe semi-officiel de la Ligue moniste fondée en 1906 par Ernst Haeckel. Il expose sa vision du monde délirante dans un ouvrage publié en 1905, où son culte de la « race blonde » et sa mystique « nordico-aryenne » s’affirment face aux « races inférieures » aux cheveux foncés, les « singes de Sodome » : Theozoologie oder Die Kunde von den Sodoms-Äfflingen und dem Götter-Elektron (« Théozoologie ou Connaissance des Singes de Sodome et de l’électron des Dieux ») 120 ; le sous-titre en était : « Introduction à la vision du monde [Weltanschauung] la plus ancienne et la plus nouvelle et justification de la principauté et de la noblesse ». L’objectif de la revue Ostara (sous-titre : la « Correspondance des Blonds ») est défini dans le cahier 29, paru en automne 1908 : « L’Ostara est le premier et unique périodique consacré à l’étude de la race héroïque et virile qui se propose de transposer dans les faits les enseignements de la science raciale en vue de préserver la race noble dans la voie de la culture systématique de la pureté du sang et de la virilité contre les menaces de destruction par les révolutionnaires socialistes et efféminés. » Il est très probable que le jeune Adolf Hitler a été, à Vienne (où il a vécu de février 1908 à 1913), un lecteur au moins occasionnel de Lanz von Liebenfels, en dépit du fait qu’il ne le cite jamais publiquement 121. Il faut aussi noter que Lanz, baptisé un peu hâtivement « l’homme qui donna des idées à Hitler », a collaboré à la revue raciste, eugéniste et pangermaniste du « socialiste » Ludwig Woltmann (la Politisch-Anthropologische Revue, fondée à Leipzig en avril 1902), à côté d’auteurs nettement moins délirants : Ludwig Gumplowicz, Ludwig Wilser, John Beddoe, Robert Michels, Cesare Lombroso, Gabriel Tarde, etc. En 1915, Lanz crée, pour désigner sa doctrine « secrète », le néologisme « Ariosophie » (ou « aryosophie » : sagesse occulte des Aryens, ou ayant trait aux Aryens), qui se substitue aux expressions « théozoologie » et « aryochristianisme », qu’il utilisait couramment avant la guerre de 1914, en concurrence avec « métaphysique raciale » ou « mystique de la race122 ».
Dans la littérature ésotérico-extrémiste contemporaine, l’on rencontre tout autant des références directes aux doctrines ou aux appartenances supposées secrètes de dirigeants nazis, selon la recette qui avait tant réussi à l’époque du Matin des magiciens (1960), best-seller de Jacques Bergier et Louis Pauwels. Adolf Hitler, Heinrich Himmler, Rudolf Hess ou Alfred Rosenberg peuvent par exemple être présentés comme des « initiés ». On connaît par exemple l’influence de l’occultiste völkisch Karl Maria Wiligut (1866-1946) sur le Reichsführer-SS Heinrich Himmler, qui se passionnait pour l’hypnose et le mesmérisme, et consultait régulièrement des astrologues123. Celui qui fut surnommé « le Raspoutine de Himmler » (Mund, 1982), connu sous le pseudonyme de Weisthor qu’il prit lorsqu’il rejoignit les SS en septembre 1933, joua véritablement le rôle du « mage privé » de Himmler124, le conseillant notamment quant aux recherches à conduire sur les traditions germaniques archaïques et sur la mythologie germano-nordique (« sagesse runique » comprise). Otto Rahn (1904-1939), en raison de ses recherches sur les Cathares et les légendes relatives au Graal, intéressant les proches de Himmler en quête d’une tradition religieuse proprement germanique (une ancienne culture païenne refoulée par le christianisme), fut recruté par Weisthor en mai 1935, et entra officiellement dans la SS en mars 1936, avec le grade de sergent. Peu après sa démission de la SS (février 1939), il mourut de froid lors d’une randonnée montagnarde (13 mars 1939). Cette mort accidentelle a paru suspecte à certains « historiens alternatifs » et de multiples légendes ont été brodées autour de ce personnage. Le « mystère Otto Rahn » a fait l’objet d’un grand nombre d’écrits fantaisistes : certains auteurs ont nié la mort du protégé de Himmler, et ont soutenu la thèse qu’il serait devenu Rudolf Rahn, collaborateur de l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, Otto Abetz, et qu’il aurait terminé la guerre en tant qu’ambassadeur du IIIe Reich à Rome125. Il convient de rappeler qu’en épigraphe de son livre paru en 1937, Luzifers Hofgesind (« Les Serviteurs de Lucifer » ou « La Cour de Lucifer »), dédié « À mes camarades », Rahn avait placé une citation de Schopenhauer : « Nous devons espérer qu’un jour l’Europe aussi sera purifiée de toute mythologie juive126. »
C’est à Weisthor que fut confiée par la SS la tâche d’expertiser les idées de Julius Evola, théoricien d’un élitisme antimoderne fondé sur la référence à une tradition « aryonordique », dont certains ouvrages avaient été traduits en allemand et qui avait fait une série de conférences dans l’Allemagne nazie en décembre 1937 et en juin 1938127, dans la perspective de faire école au sein du IIIe Reich. Dans son expertise 128, Weisthor conclut qu’Evola pensait certes dans une perspective « aryenne » ou « nordique », mais qu’il ne mettait pas en relief la spiritualité du pôle féminin, voire contestait l’existence de cette dernière, fâcheuse erreur selon l’expert SS. Un autre rapport adressé à Himmler par plusieurs membres de l’Ahnenerbe (dont l’Hauptsturmführer SS Wolfram Sievers, l’un de ses plus hauts responsables)129, au début de juillet 1938, se montrait plus sévère. Les experts commençaient par rappeler qu’Evola était « considéré comme un fanatique plus ou moins fantasque », et qu’il était « largement incompris et seulement toléré par le fascisme officiel130 ». Puis, après un bref examen de la doctrine d’Evola comme penseur de la Tradition, où ils insistaient sur le motif du dépassement de la nation par l’idée impériale (aussi supranationale que « la race aryenne de type germano-romain »), ils concluaient sur une appréciation globalement négative de ses orientations :
« La doctrine d’Evola […] n’est ni national-socialiste ni fasciste. […] Ce qui le sépare le plus de la Weltanschauung national-socialiste, c’est sa négligence radicale des données concrètes et historiques de notre passé national au profit d’une utopie abstraite à base fantastique. Aujourd’hui encore, Evola prône le dépassement de la nation dans l’élite traditionnelle qui, sous la forme d’un ordre supranational et secret, doit mener le combat conscient contre les forces du monde inférieur hostile à la Tradition. Le mobile profond et secret d’Evola semble être une révolte de la vieille noblesse contre le monde moderne étranger à toute forme d’aristocratie. C’est ainsi que se confirme la première impression qu’il a laissée en Allemagne, à savoir qu’il s’agit d’un “Romain réactionnaire”. »

Bref, Evola était accusé par les experts SS d’être tout à fait ignorant des institutions germaniques préhistoriques et de leur signification, ainsi que de prôner l’utopie d’un « Reich romano-germanique », source de graves « confusions idéologiques131 ». Réduit à illustrer le type d’une « aristocratie décadente », le baron Evola fut disqualifié en tant que « réactionnaire contre-révolutionnaire 132 ». Alors qu’il avait suscité un certain intérêt chez les dirigeants de la SS, Evola perdit rapidement ses soutiens nazis à la suite des rapports destinés à Himmler. Son « racisme initiatique133 », sans grand attrait pour les idéologues de l’Italie fasciste, n’aura pas non plus convaincu les dirigeants de la SS134. Dans ses Notes sur le Troisième Reich, texte publié en 1970 comme appendice à la deuxième édition de son essai Le Fascisme vu de droite, Evola revient brièvement sur cet épisode, non sans rappeler le caractère positif, à ses yeux, de certaines initiatives « culturelles » himmlériennes :
« La réalisation de l’idéal de Himmler rencontrait une espèce de handicap135 dans le fait qu’un Ordre au sens propre présuppose un fondement également spirituel; mais, dans ce cas précis, on ne pouvait absolument pas se référer au christianisme. En effet, l’orientation antichrétienne, l’idée que le christianisme était inacceptable en raison de tout ce qu’il contient de non aryen et de non “germanique”, cette idée était très répandue chez les SS et, malgré une certaine tension existant entre Himmler et Rosenberg, il y avait entre eux, sur ce point, une indiscutable convergence de vues. Christianisme et catholicisme étant exclus, le problème de la vision du monde se reposait donc, pour tout ce qui allait plus loin que la discipline sévère et la formation du caractère; les SS eurent aussi l’ambition d’être une weltanschauuliche Stosstruppe, c’est-à-dire une force de rupture dans le domaine, précisément, de la vision du monde [Weltanschauung]. Depuis longtemps, au sein de la SS, avait été constitué le SD, ou “Service de Sécurité” (Sicherheitsdienst), qui aurait dû avoir lui aussi, en principe, des activités culturelles et de contrôle culturel (déclaration de Himmler en 1937). Même si le SD se développa par la suite dans d’autres directions, y compris le contre-espionnage, son Bureau VII garda un caractère culturel, et des savants et des professeurs sérieux firent aussi partie du SD. Par ailleurs, on pouvait devenir un SS “d’office”, ad honorem (Ehrendienst, service honorifique) : cette possibilité regardait les personnalités de la culture dont on estimait qu’elles avaient apporté une contribution valable dans la direction que nous avons indiquée plus haut. Nous pouvons citer, par exemple, le profes-seur Franz Altheim, de l’université de Halle, célèbre historien de l’Antiquité et de Rome, et le professeur O. Menghin, de l’université de Vienne, éminent spécialiste de la préhistoire. L’Ahnenerbe, institut particulier de la SS, avait pour tâche de faire des recherches sur l’héritage des origines, du domaine des symboles et des traditions au domaine archéologique136. En effet, l’attention était tournée vers ce qu’on pouvait tirer de cet héritage en matière de vision du monde, et dans ce champ de recherche l’exclusivisme nationaliste de certains milieux fut mis de côté. C’est ainsi par exemple que Himmler fit subventionner le Hollandais Herman Wirth, auteur de L’Aurore de l’Humanité137, gros ouvrage sur les origines nordico-atlantiques, et fit inviter pour des conférences un auteur italien [Evola fait ici référence à sa propre personne] qui avait fait des recherches dans ce domaine également et, en général, sur le monde de la Tradition, se tenant à distance du catholicisme et du christianisme mais évitant les déviations déjà signalées par nous à propos de Rosenberg et d’autres auteurs138. »

Le témoignage de Rudolf Mund, qui fut le dernier maître de l’Ordo Novi Templi (ONT) fondé par Lanz von Liebenfels, confirme la thèse de l’influence exercée par Wiligut sur Himmler, mais cette influence fut toute personnelle, et l’on n’en peut conclure qu’il aurait existé une tendance ésotérique au sein de la SS (Mund, 2002). Nombre d’écrits relevant d’une « crypto-histoire » font circuler en outre la rumeur selon laquelle Hitler fut initié à la Société Thulé par l’intermédiaire du célèbre théoricien de la géopolitique Karl Haushofer (1869-1946), qui aurait conféré à ladite Société son « véritable caractère de société secrète d’initiés en contact avec l’Invisible », et en aurait fait le « centre magique du nazisme 139 ». D’où la légende d’un Hitler en païen mystique versé dans l’occultisme, secret de sa puissance140, ou bénéficiant de pouvoirs secrets dus à des pratiques satanistes 141. Or, si Karl Haushofer semble avoir été l’un des membres berlinois de la semi-mythique Société du Vril 142, il n’y a aucune preuve qu’il ait appartenu à la Société Thulé 143. En outre, la Société Thulé, en dépit des intérêts personnels de Sebottendorff pour les pratiques relevant de l’occultisme, était avant tout une organisation raciste, fanatiquement antisémite, nationaliste et anticommuniste 144. Par ailleurs, si Haushofer était une connaissance de Rudolf Hess (qui avait été son assistant à l’université de Munich), ses relations avec Hitler furent très limitées 145. Mais la légende selon laquelle les dirigeants nationaux-socialistes auraient utilisé en connaissance de cause les doctrines ésotériques pour parvenir au pouvoir et s’y maintenir, cette légende continue d’alimenter de nombreux ouvrages, dont certains sont parfois précieux pour leur érudition 146.
Dans les milieux néo-nazis contemporains, surtout depuis la fin des années 1970, les récits chimériques reconduisant l’« ésotérisation » du nazisme se réclament le plus souvent de trois auteurs qui, admirateurs ou compagnons de route du régime hitlérien avant même la Seconde Guerre mondiale, sont devenus après 1945 des références majeures : Julius Evola, Savitri Devi (1905-1982) et le Chilien Miguel Serrano 147. C’est en 1936 que Maximiani Portas, née le 30 septembre 1905 à Lyon d’un père grec et d’une mère anglaise, prit le nom hindou de Savitri Devi, en l’honneur de la déesse solaire indo-aryenne148. Engagée dans les franges racistes du mouvement nationaliste hindou dès le milieu des années trente, Savitri Devi militait également en faveur du régime nazi, ce qui la conduisit, durant la Seconde Guerre mondiale, à faire de l’espionnage en faveur de l’Axe. Elle voyait dans la figure de Hitler le neuvième avatar du dieu Vishnou, et considérait le swastika comme « le lien visible entre Hitler et l’hindouisme orthodoxe ». En 1976, Savitri Devri publie ses Souvenirs et réflexions d’une aryenne, ouvrage écrit directement en français qui mêle récits autobiographiques et considérations politico-ésotériques, dédié de façon hautement significative aux « initiés, morts ou vivants de l’Ordre des Schutzstaffeln 149, en particulier à ceux de la section “Ahnenerbe” dudit Ordre, et à leurs disciples et émules d’aujourd’hui et des siècles à venir150 ». Le chapitre dix de l’ouvrage est consacré à la question : « L’ésotérisme hitlérien et la tradition151 ». Quant à Miguel Serrano, après avoir rendu visite en Europe à un certain nombre d’anciens dirigeants nazis, ainsi qu’à Julius Evola et à Hermann Wirth, il s’imposa dans les milieux néo-nazis comme le chef de file de l’« hitlérisme ésotérique152 », publiant plusieurs ouvrages où l’idolâtrie pour Hitler est mêlée à des éléments de mythologie nazie et à des miettes de syncrétisme mystico-ésotérique, où l’on rencontre les Chevaliers du Temple, les Cathares, le Saint Graal et les Rose-Croix : El Cordón Dorado. Hitlerismo Esotérico (1978), Adolf Hitler, el Último Avatãra (1984) et Manú : « Por el hombre que vendra » (1991)153. Serrano reprend également à son compte les légendes concernant les visiteurs extraterrestres qui seraient les ancêtres semi-divins de la « race hyperboréenne », légendes largement diffusées par Robert Charroux dans ses livres des années soixante, en particulier Le Livre des secrets trahis (1965) et Le Livre des maîtres du monde (1967)154. Indépendamment donc de l’influence diffuse du Matin des magiciens, qui l’avait lancé sur le marché culturel comme une caractérisation mi-négative mi-attrayante du nazisme, l’amalgame entre hitlérisme et ésotérisme a été repris par certains milieux néo-nazis dans un sens positif, au point d’initier une vague de paganisme racial agrémenté d’écologie profonde, de zoophilie moralisante (la défense des « droits des animaux »), de culte solaire et de développement personnel (composante New Age), voire de satanisme et d’ufologie conspirationniste155.
Dans les écrits relevant de l’ésotérisme fascisant (ou plutôt nazifiant) contemporain, on tombe aussi souvent sur une référence au théoricien völkisch Theodor Fritsch (1852-1933), baptisé affectueusement par le Führer « le vieux maître de l’antisémitisme allemand », auteur du Catéchisme des antisémites (1887) – refondu en 1907 avec le nouveau titre de Manuel de la question juive – et des Protocoles sionistes (1924), traduction commentée des Protocoles, avec pour sous-titre Le programme du gouvernement mondial secret156. Lanz von Liebenfels et d’autres théoriciens völkisch collaborèrent au périodique créé par Theodor Fritsch en janvier 1902 : le Hammer, qui joua sans tarder le rôle de « point de ralliement » du mouvement raciste (aryaniste) et antisémite initié par Fritsch (à travers les « Groupes Hammer » locaux), et s’accompagna de la fondation d’une maison d’édition (le Hammer-Verlag). Autour de 1910, l’idée était dans l’air, en Allemagne, chez les plus fanatiques des groupes völkisch, de créer une loge secrète de type maçonnique pour lutter contre la « conspiration juive » ou « judéomaçonnique ». La hantise du complot fictif pousse ainsi à la création d’un complot réel. Un an après la création d’une Grande Loge (aryenne) le 15 avril 1911, dont Fritsch est le grand maître, le Germanenorden (« Ordre des Germains ») est fondé (12 mars 1912)157. Présenter Fritsch comme l’un des « mentors » du jeune Hitler à Vienne158 est très certainement exagéré. Quoi qu’il en soit, dans son livre de 1993, Holey n’hésite pas à citer l’édition de 1933 (la 13e !) des Protocoles due à Fritsch, dont il tire les extraits classés en douze points par lesquels il résume le contenu du « programme secret159 ». Et, se référant au célèbre ouvrage conspirationniste de William Guy Carr, Pawns in the Game (1958), il ajoute ce commentaire :
« Après avoir élaboré ce projet pour dominer le monde (le Nouvel Ordre mondial = Novus Ordo Seclorum160, la banque Rothschild aurait chargé le Juif bavarois Adam Weishaupt de fonder l’Ordre secret des Illuminés de Bavière » (Livre jaune n° 5, p. 77).

La littérature sur les « mystères nazis » a pris appui sur les moindres ragots concernant le jeune Hitler pour surestimer l’importance de l’environnement « ésotérique » dans lequel le futur Führer a baigné. Il est vraisemblable qu’une lecture non critique du célèbre ouvrage anti-nazi de Hermann Rauschning, Hitler m’a dit (1939), a nourri, avec les souvenirs plus ou moins arrangés de certains « amis d’enfance » ou d’adolescence, la légende de l’« occulto-nazisme161 ». Présenter Hitler, qui consultait certes des astrologues (ni plus ni moins que, plus tard, François Mitterrand!), et avait fréquenté un temps (fin 1918-1919), sans en devenir membre162, la Thule-Gesellschaft avec Dietrich Eckart, Gottfried Feder, Alfred Rosenberg et Rudolf Hess, comme un disciple de Lanz von Liebenfels, de Guido von List ou de Rudolf von Sebottendorff relève du monde des légendes ou de l’escroquerie intéressée. Même si l’on peut prêter à Himmler163 ou à d’autres dirigeants nazis (Rudolf Hess, Hans Frank, etc.) un vif intérêt pour l’ésotérisme, ces intérêts ont été à la fois attribués indistinctement et surestimés à dessein par des auteurs spécialisés dans la mythologisation du nazisme (les professionnels de la littérature « nazi-occultiste »), ainsi que l’ont établi d’excellents spécialistes récents de la question164. Dans sa belle étude sur l’aryosophie en Allemagne et en Autriche (entre 1890 et 1935), Goodrick-Clarke fait cette mise au point aussi claire que nuancée :

Il est un autre argument permettant de relativiser les liens entre ésotérisme et nazisme. Ces intérêts plus ou moins passionnés pour l’ésotérisme se retrouvent par ailleurs chez certains des ennemis les plus radicaux du nazisme : ainsi, le démocrate résolu qu’était Winston Churchill a pris certaines décisions en s’en remettant à des voyants. Plus précisément, Churchill était en relation avec certains milieux ésotériques britanniques qui l’ont persuadé que Hitler était un « contre-initié », d’où son refus de toute négociation avec l’Allemagne hitlérienne166.
Ce que savaient les initiés de Thulé
On rencontre également dans la plupart des écrits complotistes mêlés d’« ésotérisme » des thèmes « révisionnistes », voire négationnistes. C’est le cas par exemple sur le site de David Icke, auteur « New Age » d’un best-seller publié en 1999, The Biggest Secret (présenté comme « the book that will change the world » !), qui puise notamment dans les écrits de Holey, en particulier dans le livre de 1993, traduit en américain (Jan van Helsing, Secret Societies and their Power in the 20th Century, ETC), et dans ceux de William Cooper. Dans son livre, Icke nous apprend notamment que « Hitler était un Rothschild 167 ». Le polygraphe qu’est Icke, dans ses nombreuses compilations, cite régulièrement les Protocoles pour fournir une explication des événements qu’il rapporte ou des thèses qu’il soutient168. Si la véritable histoire est secrète, interdite d’accès ou occultée par une pseudo-histoire « officielle », la rhétorique de la « révélation » implique la « révision de l’histoire » et la dénonciation de « mensonges historiques » (des chambres à gaz homicides à la Shoah elle-même). Telle est la tâche que se donnent les partisans du « révisionnisme historique ». Recopiant les textes d’accompagnement des Protocoles, les auteurs de ces textes, se présentant comme des « initiés » (parfois par des extraterrestres!), de savants décrypteurs ou des prophètes inspirés, citent volontiers la phrase extraite du célèbre roman de Disraeli, Coningsby : « Le monde est gouverné par de tout autres personnages que ne se l’imaginent ceux qui ignorent les coulisses » (ou « dont l’œil ne plonge pas dans les coulisses »), phrase présentée comme un « aveu » qui, venant d’un « Sage de Sion » (s’exprimant à travers l’un de ses personnages, le « Juif Sidonia »), prouverait l’existence d’un « complot juif » pour la « domination du monde », véritable moteur de l’histoire universelle169. Dans le Livre jaune n° 5, on trouve cette justification de l’antisémitisme hitlérien :

En 1978, Jean Mabire, ancien nationaliste français proche de l’OAS, et l’un des journalistes-écrivains de la mouvance « Nouvelle Droite »171, où il représente avec Pierre Vial la sensibilité « völkisch » néo-païenne et le courant ethno-régionaliste172, publie dans la collection « Les énigmes de l’univers », chez Robert Laffont, un essai « historique » intitulé Thulé. Le Soleil retrouvé des Hyperboréens, comportant de longs développements sur « la grande aventure de la race primitive nordique », ainsi que sur l’Atlantide et les Atlantes. On sait que l’Atlantide fut un mythe privilégié par les milieux « völkisch » en Allemagne173, puis par nombre d’idéologues nazis174, à commencer par Himmler et ses collaborateurs SS au sein de l’Ahnenerbe Institut (« Institut de l’héritage ancestral »)175. Dans l’après-guerre, le pasteur luthérien et archéologue Jürgen Spanuth (né en 1907), ancien nazi, publiera plusieurs ouvrages sur l’Atlantide, toujours avec le souci d’en dévoiler les origines nordico-germaniques, et contribuera fortement à diffuser la thèse de l’identification de l’île d’Heligoland avec la capitale de l’Atlantide. La première maison d’édition du GRECE, Copernic, prendra l’initiative de traduire un livre de Spanuth, Le Secret de l’Atlantide 176, dont Mabire s’inspire ouvertement177. Mais l’ouvrage de Mabire est essentiellement consacré à la « renaissance » de Thulé à Munich, en 1918, avec la création de la Société Thulé par l’astrologue/occultiste Sebottendorff et la relance du Germanenorden, créé à l’initiative de Theodor Fritsch et de quelques autres nationalistes en 1912. Lorsqu’il est réédité par les Éditions Pardès en 2002, le livre de Mabire est ainsi présenté par l’éditeur, reprenant le texte de quatrième de couverture de la première édition, la dernière phrase étant seule remaniée :
« Voguer vers le Nord, c’est retrouver le signe primitif du Soleil et la foi de nos plus lointains ancêtres, les Hyperboréens. […] Jean Mabire part à la recherche du grand mystère de notre monde occidental : l’Atlantide. Sans hésiter, il situe le continent disparu autour d’une autre île sacrée : Héligoland. Mais cet univers atlanto-hyperboréen n’a pas disparu dans quelque cataclysme universel. L’esprit de Thulé continue à vivre dans le secret d’Ordres chevaleresques ou de groupes initiatiques… Le plus mal connu de tous reste, sans doute, la célèbre “Société Thulé” qui joua un rôle considérable lors de la Révolution de Munich, en 1919. Jean Mabire en révèle ici les secrets, restitue les traits essentiels du paganisme nordique et évoque l’implacable lutte du Marteau de Thor et de la Croix du Christ. »

Non sans nostalgie, le néo-païen Mabire, dans sa conclusion (« En attendant le retour du soleil »), note que « les ennemis de Thulé ont remplacé notre foi ancestrale par un rite étranger » et que, « aujourd’hui, leur triomphe semble absolu178 ». Mais il ne manque pas aussi de réaffirmer « le sens même de notre combat » pour conclure que « le soleil retrouvé des Hyperboréens restait le soleil invaincu179 » . Sol Invictus ! Au tout début de son livre Les Mystiques du soleil (publié également dans la collection « Les énigmes de l’univers »), Jean-Michel Angebert faisait ce commentaire : « Par cette exclamation, les adorateurs de Mithra saluaient l’astre du jour, comme bien avant eux le tout-puissant pharaon d’Égypte, Akhenaton (“aimé du soleil”), qui fit du Soleil : Râ, le dieu unique, émanation de l’Innommé, comme plus tard les mazdéens, guidés par Zoroastre, honoraient Ormuzd, le dieu-lumière de l’Iran […]180 ». Dans le dernier chapitre de son livre, consacré à « Hitler ou “le soleil noir”181 », Angebert cite partiellement (et approximativement) le célèbre discours prononcé par Sebottendorff devant les membres de la Société Thulé le 9 novembre 1918, soit deux jours avant l’armistice, et dans un contexte marqué par la révolution communiste :
« Je resterai déterminé à engager la “[Société] Thulé” dans ce combat, aussi longtemps que je tiendrai le marteau de fer [référence à son marteau de Maître] […] J’en fais le serment sur ce symbole qui nous est sacré [le swastika] – entends-moi, ô, Soleil victorieux ! – et je tiendrai ma fidélité à votre égard. »

Cet appel au combat était précédé d’un passage où l’identité de l’ennemi révolutionnaire était clairement décryptée comme juive :

Dans les milieux dits « néo-nazis », catégorie aux frontières floues englobant tous ceux (individus ou groupes) qui revendiquent l’héritage de l’hitlérisme ou pratiquent certaines formes de mimétisme vis-à-vis du nazisme, l’ésotérisme de pacotille semble constituer un ingrédient ordinaire. Sociologiquement, le phénomène prend l’allure d’une folklorisation du nazisme, reconstruit ou réinventé sur la base d’une sélection de divers matériaux symboliques. Les thèmes symboliques sollicités sont en petit nombre : le swastika, les runes, la mythologie nordique interprétée dans un sens raciste, l’Énergie (Vril), Thulé (et la Société Thulé), l’Atlantide, le Germanenorden, la SS comme Ordre de Chevalerie, la ville souterraine et le Roi du Monde. Parallèlement, le type du Führer d’opérette s’est banalisé dans les groupuscules néo-nazis, en Europe comme aux États-Unis183. Les cas du Britannique Colin Jordan (chef du National Socialist Movement, créé en 1962) et de l’Américain George Lincoln Rockwell (chef de l’American Nazi Party, créé en mars 1959), co-fondateurs de la WUNS (World Union of National Socialists/Union mondiale des nationaux-socialistes) en août 1962, ont fait l’objet d’études relativement précises184. Nombre de militants néo-nazis exaltés postulent que Hitler est toujours vivant, caché dans un lieu secret au pôle Nord ou dans une ville souterraine (au Tibet, par exemple). En France, un certain Jean-Claude Monet (né en 1938)185, Führer auto-proclamé, rendu aveugle au ridicule de son personnage par son délire mégalomaniaque (il se dit l’un des fils naturels d’Adolf Hitler!), adresse à un groupe d’initiés le 21 juin 1963, jour du solstice d’été, une lettre qu’il signe Hans Klaus Hitler :
« […] Moi, Hans Klaus Hitler, porterai l’Union des Swastikas : je serai Maître du Monde […] Initiés ! Vous me reconnaîtrez aux Signes : je suis né en 1938 à Riedisheim à la FRONTIÈRE DE CES DEUX ÉTATS DONT LA RÉUNION APPARAÎT COMME LA TÂCHE PRINCIPALE DE NOTRE GÉNÉRATION […]. Je suis l’héritier du Führer, fils de Maître Maçon, initié à l’occultisme; fils de Thulé, j’ouvrirai l’ère du Verseau qui est celle d’Atlantis. Les Germains du monde entier se dresseront à mon appel, car je serai le Verbe Incarné, à l’égal de mon Père séjournant quelque part? À Schamballah186 ? Je m’allierai au roi souterrain et à ses représentants asiatiques ; les prêtres m’insuffleront la Force magique, l’Énergie rayonnante […]. J’aurai la vision du Total et imposerai mon sceau sur le monde pour des millénaires […] »
1 Goethe, Faust, tr. fr. Henri Lichtenberger, Paris, Éditions Montaigne, 1932.
2 Guénon, 1985, p. 73. Voir Papus, 1982 (1888), p. 562, où l’ésotérisme est ainsi défini : « Tout ce qui, comme science et comme art, est réservé à une élite d’initiés. » L’initié est celui « qui est a été admis aux mystères », et ainsi est censé connaître « les rudiments de la doctrine ésotérique » (ibid., p. 566). rené Forestier (1990, p. 7) retient ce critère dans sa définition de l’occultisme : « […] certaines conceptions […] se trouvent naturellement réservées à une élite intellectuelle ».
3 Tiryakian, 1972, p. 498. Voir Abellio, 1955, pp. 51 sq.
4 Faivre, 2002, pp. 14-23. Dans sa critériologie, Antoine Faivre retient six caractères fondamentaux : l’idée de correspondance (notamment entre les mondes célestes et la Terre), la vision de la nature vivante, l’imagination
créatrice (et les médiations), l’idée de transformation ou l’expérience de la transmutation, et, secondairement, la pratique de la concordance (ou concordisme) et la transmission (la relation entre maître et disciple, où l’on retrouve l’initiation). Voir Faivre, 1996, vol. II, pp. 26-30, et 2005, p. 16.
5 Faivre, 1996, vol. II, pp. 13-42, 2001 et 2005, pp. 8-9. En témoignent par exemple, en France, la création de la revue semestrielle Aries en 1985 (dir : Antoine Faivre, Pierre Deghaye, Roland Edighoffer, Jacques Fabry, puis Wouter J. Hanegraaff) et celle de la revue annuelle Politica Hermetica en 1987 (Jean-Pierre Laurant, Jean-Pierre Brach). Voir aussi Poulat, préface à Laurant, 1992, pp. 14-16.
6 Faivre, 2002, p. 6.
7 Poulat, 1991.
8 Robert Amadou, après avoir observé que l’Occident moderne avait rejeté l’initiation, ajoute : « La clef de l’histoire consiste en l’initiation condamnée, mais survivante et grosse de l’ésotérisme » (Amadou, 1980a, p. 120).
9 Besançon, 1978.
10 Bonardel, 1985, p. 25.
11 Marquès-Rivière, 1940, p. 7.
12 Pour certains auteurs, il serait une création de Pierre Leroux (Riffard, 1990, p. 85).
13 Laurant, 1992, p. 19, et 1993, p. 7.
14 2e éd., Strasbourg et Paris, 1843-1844, 3 vol.
15 Laurant, 1992, p. 19.
16 Faivre, 2005, p. 8.
17 Cité par Laurant, 1993, p. 12.
18 Dans son Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey précise à propos de l’adjectif « ésotérique » : « Emprunt savant (1752, ezotérique, Trévoux) au grec esôterikos “de l’intérieur, de l’intimité” et “réservé aux seuls adeptes”, dérivé de l’adverbe esô, variante de eisô “à l’intérieur”, lui-même de eis “dans, vers”. Le terme, substantivé, a désigné les partisans de la doctrine de Pythagore » (Rey, 1992, vol. 1, p. 722). Selon le Supplément au Dictionnaire universel français et latin (dictionnaire dit de Trévoux, imputable aux jésuites Buffier, Castel et Tournemire), en 1752, « ezotérique » signifie « ce qui est obscur, caché, et peu commun ». Le lexicographe date de 1840 l’apparition du substantif « ésotérisme ». Dans Le Nouveau Petit Robert (édition mise à jour, Paris, 2002, p. 944), au mot « ésotérisme » sont assignées deux acceptions : « 1. Doctrine suivant laquelle des connaissances ne peuvent ou ne doivent pas être vulgarisées, mais communiquées seulement à un petit nombre de disciples. […]. 2. Caractère de ce qui est impénétrable, énigmatique, de ce qui a un sens caché […]. » Voir aussi Corsetti, 1992, pp. 7-8.
19 Rey, 1992, vol. 1, p. 722.
20 Seijo-Lopez, 1994.
21 Riffard, 1990, p. 807. Voir Webb, 1988 (1974), pp. 262-278, 301-312.
22 Faivre, 1986, p. 13.
23 Après avoir été publié en feuilleton, de 1854 à 1856, l’ouvrage paraît en 1856, à Paris, en un volume. Une nouvelle édition très augmentée de l’ouvrage paraîtra en 1861 (2 vol.).
24 Soit quatorze ans après la date probable de sa création (1828). Voir Rey, 1992, vol. 2, p. 1352 : « occultisme » au sens de « système occulte » puis « ensemble des sciences occultes », expression qu’on trouve en 1884 chez Joséphin Péladan (1858-1918). Sur cet occultiste, figure de proue de l’ésotérisme « catholique », voir Webb, 1988 (1974), pp. 167-183, Beaufils, 1993. L’extension du concept de « philosophie occulte » (employé notamment par Agrippa) est plus large que celle du terme « occultisme » tel qu’il fut introduit par Éliphas Lévi pour désigner un « mouvement analogue au romantisme et au socialisme » (Alexandrian, 1994, p. 9).
25 Laurant, 1993, p. 12; Lévi, 2000, pp. 9-33.
26 Lévi, 2000, pp. 9-10.
27 Lévi, 2000, p. 10.
28 « Magisme » est réintroduit par Robert Amadou (1980a, p. 120) pour désigner un « savoir sacré ».
29 Laurant, 1993, p. 13.
30 Parmi ces « Nobles Voyageurs » mus par une quête spirituelle : Matgioi (Albert de Pouvourville) au Tonkin, René Guénon au Caire, Alexandra David-Neel au Tibet (Laurant, 1982, p. 9). Et bien sûr Ferdynand Ossendowski (1878-1945), écrivain vagabond qui sut transfigurer sa fuite à travers la Mongolie (1920-1921), devant les tueurs de la Tchéka, en aventure spirituelle. Voir Ossendowski, 2000; ainsi que Webb, 1981 (1974), pp. 198-204, et Godwin, 2000, pp. 101-102, 117-119. On a de bonnes raisons d’être plus réservé sur les cas de Mme Blavatsky et de Gurdjieff. À la suite de Guénon, on peut douter de l’authenticité de leur quête spirituelle (Guénon, 1996; voir aussi Washington, 1999). Sur Gurdjieff et son enseignement, dans son milieu « culturel » et plus largement son époque, voir Wilson (C.), 1976, t. II, pp. 94-129 ; Webb, 1981 (1976), pp. 179-181, et 1987 (1980), passim.
31 Laurant, 1982, p. 10.
32 André/Beaufils, 1995, pp. 297-318.
33 André/Beaufils, 1995, pp. 337 sq. ; Galtier, 1989, pp. 308 sq.
34 Laurant, 1993, p. 13 ; Alexandrian, 1994, pp. 317-318.
35 Voir Introvigne, 2005, ainsi que Lacroix, 1995 et 1996. Pour un examen critique dans une perspective catholique, voir Vernette, 1990 et 1993b. Le syncrétisme doctrinal du mouvement New Age est interprété comme l’expression d’une « nouvelle religiosité » qui « revêt bien des traits de la gnose éternelle » (Vernette, 2002, pp. 47-48). La dimension néo-gnostique n’est guère niable. Mais voir dans cet avatar des modes ésotéro-occultistes contemporaines un « réveil de la gnose » peut paraître excessif. Voir supra, chap. IV.
36 Amadou, 1950 ; Amadou et Kanters, 1950.
37 Amadou, 1950, p. 16.
38 Amadou, 1950, p. 19.
39 Voir Amadou, 1980a, p. 120 : « L’ésotérisme, ou l’occultisme, occidental, courant ramifié lui-même de l’occultisme universel, mais d’une particulière unité […], véhicule des valeurs cosmiques, humaines, divines […]. Or, contre ces valeurs et ces rapports corrélatifs, la civilisation judéo-chrétienne s’est insurgée et édifiée. L’occultisme, sous sa contrainte et pour défendre la tradition, dut se spécialiser. » Voir aussi Amadou, 1980b.
40 Riffard, 1990, pp. 307-364.
41 Thorndike, 1923-1958 ; Hutin, 1980 ; Riffard, 1990; Servier, 1998.
42 Faivre, 2002, pp. 8-14.
43 Poulat, cité par Faivre, 2001, p. 212.
44 Voir Faivre, 2001, pp. 212-213.
45 Poulat, préface à Laurant, 1992, p. 13.
46 Oxford Dictionary, art. « Occulte », cité par Eliade, 1978, p. 66.
47 Amadou, 1980, p. 120.
48 Tiryakian, 1972, p. 499.
49 Ou si l’on veut le « regard » (Laurant, 2001). Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un « savoir aux contours incertains » (Laurant, 2001, pp. 220 sq.).
50 Laurant, 1982, p. 8, note 2.
51 Dès lors, s’il s’agit toujours d’accéder à l’absolu, le « regard ésotérique » porte moins sur les spéculations théologiques que sur les savoirs de type scientifique (Laurant, 2001, pp. 18-19). La notion de sécularisation peut elle-même être définie de plusieurs manières, oscillant entre le modèle de l’épuisement du religieux (en tout cas, du religieux judéochrétien, ou plus largement monothéiste) comme facteur et/ou critère de la modernité et la thèse du rétrécissement de la sphère religieuse différenciée ou spécialisée, impliquant un affaiblissement de la religion organisée comme moyen de contrôle social, processus allant de pair avec la modernisation. Voir Lübbe, 1995 ; Hervieu-Léger, 1999. Mais le modèle d’intelligibilité de la modernité qu’est la sécularisation peut aussi être discuté et sa pertinence interrogée, certains spécialistes de la question allant jusqu’à juger le modèle inadéquat. Voir Berger et al., 2001.
52 Faivre, 1996, vol. II, pp. 13-42, et 2002 ; Champion, 1989 et 1998.
53 L’expression « nouveaux mouvements magiques », introduite comme catégorie sociologique par Massimo Introvigne en 1990 (Introvigne, 1993), n’est pas entièrement satisfaisante : en privilégiant une approche strictement « positive » du phénomène, elle donne dans l’apologétique.
54 Bloch, 1991.
55 Champion, 1998.
56 Maître, 1968 ; Eliade, 1978, pp. 80 sq. ; Bois et Michelat, 1994; Kunth, Zarka, 2005.
57 Boy et Michelat, 1986 et 1993, pp. 209-215 ; Boy, 2002.
58 Doré, 2005, p. 48.
59 Drévillon et Lagrange, 2003.
60 Girardet, 1986.
61 Vernant, 1974; Bloch, 1991.
62 Eliade, 1978, p. 93.
63 Meining, 2004.
64 Dubuisson, 2005.
65 Weber (Eugen), 1964.
66 Schuré, 1889 et 1983.
67 Pour une approche critique, voir Guénon, 1986 (1re éd., 1922) ; Washington, 1999 ; Stoczkowski, 1999, pp. 153-251.
68 Laurant, 1992, p. 139. Voir Guénon, 1986, pp. 102-108.
69 Voir Poulat et al., 1993, en partic. les articles de Faivre et de Santucci; Faivre, 1996, vol. II, pp. 47-49, 92-96.
70 Cassirer, 1993, p. 17.
71 Champion, 1989.
72 Jean Vernette utilise l’expression « ésotéro-occultisme » pour désigner la doctrine syncrétique de certains mouvements néoreligieux se référant indistinctement à Allan Kardec, Éliphas Lévi et Mme Blavatsky, et parle volontiers de « littérature ésotéro-gnostique » (Vernette, 2002, p. 73).
73 Poulat, 1991, 1992a, 1996.
74 Dans le présent ouvrage, on ne trouvera pas de développements spécifiques sur les théories kabbalistiques, pas plus que sur les tarots ou le phénomène rosicrucien, dont nous nous contentons de mentionner l’importance dans l’ésotérisme et l’occultisme modernes. Voir Galtier, 1989; Vanloo, 1996, 2001.
75 Le « thriller égyptien » à la Christian Jacq fait partie du tableau.
76 Il faut également mentionner les rayons comportant les ouvrages d’auteurs jugés importants : Aivanhov, Besant, Blavatsky, Evola, Guénon, Gurdjieff, Nostradamus, Papus,
77 Saleam, 1985.
78 Laurant, 1975 ; Faivre, 2002, pp. 105-109.
79 Friedländer, 1982.
80 Expression utilisée par Pierre A. Riffard, 1990, p. 35.
81 Ferraresi, 1984 et 1987 ; Boutin, 1992; Lippi, 1998 ; Goodrick-Clarke, 2002, pp. 67-71; Sedgwick, 2004, pp. 98-109, 179-187, 197-198 ; Gregor, 2005, pp. 191-221.
82 45 390 Puiseaux.
83 Voir Taguieff, 2004b, pp. 80-81, 240, 315-316, 335-336 ; 2004c, pp. 524, 772-773, 885-886.
84 Sur le militant politique Christian Bouchet, voir infra, chap. VII.
85 Voir infra, les entrées Bouchet et Marillier dans la Bibliographie, I. Ces ouvrages sont vendus en ligne par l’intermédiaire du site « nationaliste-révolutionnaire » VOXNR (http://www.voxnr.com ; http://www.tilsafe.com).
86 On trouve les ouvrages publiés chez Pardès dans les librairies d’extrême droite autant que sur les rayons « ésotérisme » des librairies généralistes, et bien sûr dans les boutiques spécialisées en matière d’« ésotérisme ».
87 Introvigne, 1993 et 1997.
88 Mayer, 1985 et 1987; Luca/Lenoir, 1998 ; Champion/Cohen, 1999; Hervieu-Léger, 2001. Si on ajoute l’ésotérisme, la confusion des catégories s’accroît et les amalgames polémiques prolifèrent (Laurant, 2001, pp. 185-226). Un auteur catholique comme Jean Vernette ne méconnaît pas les arguments sociologiques relativisant la distinction entre le religieux et le sectaire, mais s’efforce de définir les critères de la « dangerosité » des « sectes » (Vernette, 1994, et 2002, pp. 88 sq.).
89 Crowley aurait lancé cette affirmation provocatrice à plusieurs reprises, au début de l’ascension d’Adolf Hitler (Gerson, 1969, p. 166). Peu avant de mourir, en 1947, le « mage noir » aurait « affiché une sympathie profonde pour Sir Oswald Mosley » (ibid.), le chef charismatique de la British Union of Fascists, créée en octobre 1932. Sur son rapport au nazisme, voir Webb, 1981 (1976), pp. 494-496. Sur Crowley, voir Hutin, 1973 ; King, 1972, 1977 et 2004, pp. 153-182, 213, 235, 255-256, 283-284 ; Symonds, 1989 et 1997 ; Introvigne, 1993, pp. 215-231, et 1997, pp. 209-219 ; Wilson (Colin), 1976, t. II, pp. 51-82, et 2004, pp. 457-491. Edward Alexander Crowley avait « celtisé » son prénom en Aleister alors qu’il était étudiant à l’université de Cambridge, en 1897 (Introvigne, 1997, p. 211).
90 Cité par Robin, 1978, p. 275.
91 Extraits cités par Pierre de Villemarest dans l’un de ses opuscules conspirationnistes, Les Sources financières du nazisme; Villemarest, 1984b, pp. 63-64.
92 Voir Wilson (C.), 1976, t. II, pp. 59 sq.
93 Sur l’occultiste franc-maçon Theodor Reuss et la para-maçonnerie occultisante de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, voir Möller/Howe, 1986. Sur la « magie sexuelle », voir Wilson (C.), 1976, t. II, pp. 69 sq. ; Webb, 1981 (1976), p. 61 ; King, 2004, pp. 139-256 ; Symonds, 1997. Julius Evola s’est intéressé de près à la question, et a examiné sans complaisance les théories de Crowley (Evola, 1972, pp. 256-265, et 1989, pp. 346-351).
94 Gerson, 1969, pp. 338-345.
95 Crowley, cité par Evola, 1972, p. 256. Crowley incarne le type du « Magicien », opposé par Raymond Abellio au type du « Guide spirituel », ou du « Prophète », dont le « besoin de communion » se distingue du « besoin de possession » caractérisant le « Magicien » (Abellio, 1947, p. 17).
96 Sur la Golden Dawn, voir Introvigne, 1993, pp. 192-211.
97 Voir Gerson, 1969, pp. 338-345 ; Wilson (Colin), 1976, t. 2, pp. 51-66 ; Introvigne, 1993, pp. 194-199 ; André/Beaufils, 1995, p. 127. Pour une présentation empathique mais documentée, voir Ruggiu, 1990 ; Bouchet, 1990, 1998 et 1999.
98 Sur l’Église de Scientologie, voir Livre jaune n° 6, pp. 61-67. Selon Holey, Ron Hubbard aurait participé au projet MK Ultra, « projet strictement secret de la CIA […] qui fut mené après les années cinquante par des psychologues et sociologues américains pour constater le changement de conscience provoqué par des drogues » (Livre jaune n° 5, p. 213). Voir aussi Bouchet, 2000, p. 90.
99 Galtier, 1989, pp. 345 sq. ; Introvigne, 1993, pp. 132 sq.
100 Au milieu des années soixante, Jimmy Page (né en 1944) et le groupe Led Zeppelin (1968-1980) ont acheté le manoir de Crowley pour y pratiquer la magie, au son des guitares électriques et avec l’aide d’hallucinogènes (Bourre, 2000, p. 63).
101 Pour d’autres exemples, voir Bouchet, 1999, pp. 74-76.
102 Bobby Beausoleil, membre de la « famille » Manson, après avoir été choisi en 1966 pour le rôle de Lucifer, « prendra la fuite dans une atmosphère orageuse, emportant avec lui les seules copies des scènes brutes destinées à la pellicule » (Introvigne, 1997, p. 263). Voir aussi Bouyxou et Delannoy, 2004, p. 131.
103 André/Beaufils, 1995.
104 Voir Guénon, 1921.
105 Papus, 1982, p. 562.
106 Papus, 1922, p. 39. Voir aussi Papus, 1982 (1888), p. 570, où l’occultisme est défini comme l’« ensemble des systèmes philosophiques et des arts mystérieux dérivés des connaissances secrètes des anciens ».
107 Papus, 1922, p. 39.
108 Hutin, 1971 et 1996.
109 Barruel, 1973 (1797-1798). Voir supra, Introduction et chap. III.
110 Taguieff, 2004b et 2004c.
111 « Protocols »…, 1925, p. 31.
112 Kazin, 1995 ; Taguieff, 2002b et 2004d.
113 Allen, 1971-1972 et 1976 ; Cooper, 1989 (2004). Si les écrits de Cooper ne touchent que certains milieux d’extrême droite, il n’en va pas de même avec Gary Allen, auteur de best-sellers. Les tirages du pamphlet de 1971 (None Dare Call It Conspiracy) sont significatifs : février 1972 (1re réimpression) : 350 000 ex. ; mars 1972 (2e) : 1 250 000 ex. ; avril 1972 (3e) : 4 000 000 ex. Le pamphlet anti-Rockefeller a été tiré à 250 000 ex. en janvier 1976, réimprimé aussitôt en février à 250 000.
114 Pipes, 1997; Fenster, 1999; Melley, 2000; Knight, 2000, 2003 et 2004; Barkun, 2003.
115 Dery, 1999; Knight, 2000.
116 Coston, 1955, pp. 66-71.
117 Taguieff, 2004c. La dimension antijuive, bien entendu, n’accompagne pas nécessairement le mythe du « complot mondial » dans toutes ses pérégrinations idéologico-politiques : un anticapitalisme radical, par exemple, peut être affirmé sans présuppositions antijuives. Mais le mythe conspirationniste, même dans ses fonctionnements non explicitement antisémites, paraît favoriser les glissements vers les amalgames du type « judéo-capitaliste » (« judéomaçonnique », « judéo-communiste », etc.), comme s’il conservait une imprégnation judéophobe.
118 Goodrick-Clarke, 1989, p. 47.
119 Bronder, 1964, pp. 32-39 ; Maser, 1968, pp. 87, 95-96 ; Mosse, 1985, pp. 99 sq. ; Goodrick-Clarke, 1989, pp. 193-216 ; Maistre, 2004, pp. 685-690.
120 Vienne-Leipzig-Budapest, Moderner Verlag, 1905.
121 Waite, 1977, pp. 87-91 ; Richard, 2000, pp. 91-93.
122 Daim, 1958 ; Bronder, 1964, pp. 227-232 ; Maser, 1965, pp. 101 sq., et 1993, pp. 251-253 ; Faye, 1973, pp. 518 sq. ; Goodrick-Clarke, 1989, passim; Mohler, 1993, pp. 447-453 ; Hieronymus, 1996, pp. 131-146.
123 Voir Breitman, 1991. Pour une approche relativement objective des rapports entre nazisme et astrologie (et plus largement occultisme), voir Howe, 1967 (1984), et Webb, 1976. Sur la crédulité de Himmler en matière d’astrologie, voir le témoignage de Walter Schellenberg, dans ses propos recueillis les 12 et 13 mars 1946 (Goldensohn, 2005, pp. 501, 594, 509). Un DVD est en vente en ligne sur certains sites Web : The Occult History of the Third Reich : Himmler the Mystic (http://www.gumboot.co.nz).
124 Goodrick-Clarke, 1989, pp. 249-268.
125 Bernadac, 1978.
126 Rahn, 1974, p. 45.
127 « Doctrine aryenne du combat sacré » (13 juin), « Le Graal comme mystère nordique » (20 juin) et « Les armes de la guerre occulte » (27 juin).
128 Le rapport du Brigadeführer-SS Karl Maria Weisthor est disponible en traduction anglaise (« Report to Himmler on Julius Evola ») sur le site : http://thomkins_cariou.tripod.com. La date mentionnée sur le document est le 2 février 1938, et se présente comme une évaluation de la conférence prononcée par Evola le 22 janvier 1938 : « Restauration de l’Occident sur la base de l’esprit aryen originaire ».
129 Voir Hansen, 2002, p. 63.
130 Voir le document publié sous le titre « Rapport sur Evola à l’attention du Reichsführer-SS », Totalité, n° 21-22, 1985, pp. 36-41. Il s’agit de la traduction française partielle d’un rapport interne à la SS sur Evola, rédigé en juillet 1938 (c’est le 27 juin 1938 qu’Evola avait prononcé sa dernière conférence en Allemagne : « Les armes de la guerre occulte »), et communiqué à Himmler avant le 11 août, date d’une lettre provenant de l’état-major personnel de ce dernier, qui aurait approuvé les conclusions dudit rapport, notamment : « N’accorder aucun soutien concret aux efforts actuels d’Evola en vue de la création d’un ordre supranational », « suspendre son activité publique en Allemagne après ce cycle de conférences » et « faire obstacle à ses tentatives de contacts avec les instances supérieures du parti et de l’État ». Voir Boutin, 1992, pp. 283-284 ; Hansen, pp. 63-64.
131 Mund, 1982, pp. 275-289 ; Goodrick-Clarke, 1989, pp. 266-267.
132 Galli, 1995b ; Gregor, 2005, p. 205.
133 Gregor, 2005, pp. 191-221.
134 Voir Sedgwick, 2004, pp. 104-108.
135 En français dans le texte.
136 L’Ahnenerbe organisa notamment deux expéditions au Tibet où, selon une légende transmise dans les milieux néo-nazis, se seraient réfugiés plusieurs de ses hauts dirigeants qui auraient réussi à quitter l’Allemagne en 1945. Pour une exploitation de cet épisode dans la perspective d’une « histoire secrète » du nazisme, voir l’ouvrage de Victor et Victoria Trimondi, Hitler – Buddha – Krishna (Trimondi, 2002).
137 L’ouvrage de Wirth, Der Aufgang der Menschheit, qui s’appuyait notamment sur les symboles runiques des pays nordiques, avait été publié à Iéna, en 1928 (Wirth, 1928 ; Godwin, 2000, pp. 63-64). Pour un résumé de ses conceptions sur le « berceau des Aryens », voir son article « La patrie primitive de la race nordique », en ligne sur un site italien d’extrême droite (Wirth, 2005). Herman Wirth (1885-1981) fut le cofondateur de l’Ahnenerbe (« Héritage des ancêtres ») en 1935. Voir Edwardes, 1978. Voir aussi Rauschning, 1979, pp. 303-305.
138 Evola, 1993, pp. 208-209.
139 Bergier et Pauwels, 1960, p. 433 ; Gerson, 1969, pp. 215-235 ; Angebert, 1971a, pp. 200-206 ; King, 1976.
140 Suster, 1981.
141 Spence, 1940.
142 Ravenscroft, 1977, pp. 235 sq. ; sur la formation de la légende du « vril », voir infra, chap. VII, pp. 348 sq.
143 Goodrick-Clarke, 1989, pp. 302-306.
144 Rose, 1994 ; Hakl, 2000, pp. 10-12.
145 Goodrick-Clarke, 1989, p. 304 ; Padfield, 1991.
146 Gugenberger, 2001.
147 Sur Miguel Serrano, voir Casals, 1995, pp. 252-264 ; Goodrick-Clarke, 1998 et 2002.
148 Goodrick-Clarke, 1998, p. 40.
149 « Échelon de protection » (Schutzstaffel) qu’on désigne ordinairement par le sigle « SS ». Le 6 janvier 1929, Heinrich Himmler prenait le commandement des SS, avec le titre de Reichsführer.
150 Savitri Devi, 1976, p. V.
151 Savitri Devi, 1976, pp. 255-281. Voir Casals, 1995, pp. 254 sq. ; Goodrick-Clarke, 2002, chap. 5 (« Savitri Devi et l’avatar Hitler »).
152 Goodrick-Clarke, 1998, pp. 219-222.
153 Voir Goodrick-Clarke, 2002, chap. 9 (« Miguel Serrano et l’hitlérisme ésotérique »). Pour une approche elle-même mythologisante des chefs de file de l’« hitlérisme ésotérique » et du « néo-nazisme religieux » (Savitri Devi, Wilhelm Landig, Rudolf J. Mund, Jan van Helsing, Miguel Serrano), voir Trimondi, 2002a.
154 Voir Goodrick-Clarke, 2002, pp. 330 (note 22), et 336 (note 28). Au début de son essai Le Livre des maîtres du monde, Charroux affirme : « Nous possédons mille preuves de la venue, jadis, sur notre globe d’êtres extraterrestres qui furent appelés dieux, anges initiateurs ou démons » (Charroux, 1967, p. 15).
155 Goodrick-Clarke, 1998 (2000) et 2002, pp. 107-192, 213-231.
156 Taguieff, 2004b, p. 328, et 2004b, pp. 667-668.
157 Voir Goodrick-Clarke, 1989, pp. 177-183.
158 Waite, 1977, pp. 87, 93-94.
159 Livre jaune n° 5, pp. 73-78, 312-313, 329.
160 L’expression Novus Ordo Seclorum, en dépit de son caractère idéologiquement marqué, se rencontre dans le thriller de Dan Brown, Anges et Démons (2005, p. 132).
161 Voir Rauschning, 1979, en partic. pp. 96-101, 308-309, 312-322, 324-334.
162 On regrette de trouver l’affirmation contraire dans un livre par ailleurs estimable de Jean-Jacques Debu (2005a, p. 315) : « 1912. Fondation, en Allemagne, de la société secrète du groupe Thulé […]. Hitler en fera partie en 1919. »
163 Voir Webb, 1988 (1974), p. 104, et 1981 (1976), pp. 318-325.
164 Goodrick-Clarke, 1989 ; Hamann, 2001.
165 Goodrick-Clarke, 1989, pp. 281-282.
166 Galli, 1989 et 2004.
167 Icke, 2001, pp. 509-513.
168 Offley, 2000.
169 Voir supra, chap. III. Disraeli, pour d’autres déclarations sur l’influence juive dans la politique européenne ou sur une prétendue alliance judéo-maçonnique, est un auteur souvent cité par les auteurs antisémites. Voir Poliakov, 1968, pp. 343-344, et 1980, p. 39. Le premier mentor d’Adolf Hitler, l’idéologue völkisch Dietrich Eckart (1868-1923), dans son essai posthume (1924), Le Bolchevisme de Moïse à Lénine (sous-titré : « Dialogue entre Adolf Hitler et moi »), cite le roman de Disraeli, Coningsby, à propos de la « mystérieuse diplomatie russe », qui serait « organisée par les Juifs » (Eckart, 1999, p. 41).
170 Livre jaune n° 5, p. 143.
171 Taguieff, 1994.
172 Mabire et Vial, 1975 ; Vial, 2004. Sur ces courants néo-païens, voir le témoignage de Christian Bouchet, 2003 et 2005 (l’auteur fait lui-même partie de la mouvance qu’il décrit).
173 Voir par exemple l’ouvrage de Karl Georg Zschaetzsch, publié en 1922 à Berlin, sur L’Atlantide patrie primitive des Aryens, fondé sur le postulat racialiste suivant : « Sans la présence d’une souche aryenne, aucun État ne peut subsister » (Zschaetzsch, 1922, p. 94 ; cité par Vidal-Naquet, 2005, p. 125).
174 Voir l’ouvrage d’Albert Hermann, professeur à l’université de Berlin, rallié au nazisme : Unsere Ahnen und Atlantis (« Nos aïeux et l’Atlantide »), Berlin, 1934 (cité par Vidal-Naquet, 2005, pp. 125-126).
175 Kater, 1974, pp. 51-71, 372, 378 ; Vidal-Naquet, 2005, pp. 124-128.
176 Spanuth, 1977.
177 Mabire, 1978, pp. 65 sq. et 2002, pp. 54 sq.
178 Mabire, 2002, p. 298).
179 Mabire, 2002, p. 299.
180 Angebert, 1971b, p. 13.
181 Ibid., p. 338, traduction corrigée par mes soins.
182 Cité partiellement par Goodrick-Clarke, 1989, p. 206 ; discours reproduit in Sebottendorff, 2001, pp. 69-72.
183 Voir Coogan, 1999 ; Goodrick-Clarke, 2000 et 2002.
184 Chairoff, 1977, pp. 312-319, 382-384, 446-447 ; Thurlow, 1998, pp. 231-244 ; Simonelli, 1999 ; Schmaltz, 1999 ; Coogan, 1999, pp. 479-481, 508-511, 518-520, 616-617, 620 ; Goodrick-Clarke, 2000, pp. 257-286, et 2002,en partic. pp. 7-51.
185 Monet avait été successivement ou simultanément le « Führer » du PNSOF (« Parti national-socialiste des ouvriers français ») (septembre 1961), de l’OSS et de l’« Organisation du Swastika-OSS » (janvier 1963), mais aussi de l’OVF (« Organisation des Vikings de France ») (juillet 1962), du Breuriezh an Hevoud (en breton : « Fraternité de la croix gammée ») et du PPNS (« Parti prolétarien national-socialiste »). Voir Angebert, 1971a, pp. 249-250 ; Chairoff, 1977, pp. 191-195.
186 Référence brouillonne à ce que l’hindouisme désigne par le terme Agartha (Agarttha, Asgartha, Agarti ou Agharti), qui coïncide avec ce qu’à la manière tibétaine l’on appelle Shambala (aujourd’hui transcrit par Shambhala). Pour la formation de la légende occultiste (où les théosophes, avec Saint-Yves d’Alveydre [1995] et Ossendowski [2000], ont joué un rôle important), voir par exemple Blavatsky, 1994, vol. 1, introduction et préface; Ravenscroft, 1977, pp. 242-247. Sur les exploitations symboliques du thème, voir Godwin, 1986, et 2000, en partic. pp. 93-122 ; Kafton-Minkel, 1989, pp. 168-175 ; Goodrick-Clarke, 1989, pp. 301-302, et 2002, en partic. pp. 111-149 ; Barkun, 2003, pp. 118, 121, 166, 167. Côté New Age, voir Redfield, 2003.